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Dorothée voudrait devenir une vieille femme indigne

Télé Star – 12 Août 1985

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Télé Star : Avec « Récré A2 Matin », vous voilà maintenant productrice. Est-ce que ça change quelque chose ?

Dorothée : C'est pareil. L'après-midi, je fais ce que je veux de la même façon. Bien sûr, il y a des bases, avec Jacqueline Joubert nous choisissons et écrivons ensemble. Mais, devant la caméra, il ne reste plus que nous, les animateurs.

Les enfants spectateurs influent-ils sur votre choix ?

Tout à fait. Je les invite d'ailleurs à m'écrire s'ils le veulent bien et je fais mon émission en fonction du courrier que je reçois. Nous avons reprogrammé « Albator » qui nous était beaucoup réclamé et qui a fait sauter le standard lors du test que j'ai fait en direct sur l'antenne. Puisque ce sont eux qui regardent, autant qu'ils choisissent.

Vous souvenez-vous de votre premier contact avec une caméra ?

Oh ! oui. Et je n'étais même pas au courant. C'était pour mon premier essai à la télévision. Un jour, je reçois une convocation, j'y vais. On me met dans un coin, sur un plateau, et, pendant une heure, je reste seule avec des gens qui passent et me parlent ou m'ennuient. Devant moi, il y avait des caméras statiques et sans personne derrière, j'ignorais totalement qu'elles étaient branchées et que mes moindres faits, gestes et réactions étaient enregistrés pour savoir comment je passais et parlais à la télévision.

Et si on vous donnait la direction d'une chaîne ?

C'est le genre de responsabilité qui ne m'intéresse pas. Je n'ai pas de si grandes envies. J'aime avoir mon domaine et m'y bien sentir.

Vous vous appeliez Frédérique. Pourquoi avoir changé de nom ?

Ça a été tout à fait indépendant de ma volonté. Ce prénom, androgvne à l'oreille, est, paraît-il, dur à porter, surtout pour des enfants. Quand j'ai commencé à la télévision, Jacqueline Joubert m'a aidée à chercher autre chose et le prénom de Dorothée est venu tout seul. Après une première expérience, j'ai travaillé sous le prénom de Frédérique (dans « Réponse à tout »), rien n'a marché. Quand j'ai repris Dorothée, c'est reparti. J'en ai fait une superstition et plus personne ne m'appelle Frédérique.

Même dans votre famille ?

Dans ma famille, on ne m'a jamais appelée comme ça. Pour mon père, j'étais Marguerite ou Paulette et pour maman, Proserpine.

Étiez-vous une enfant sage ou turbulente ?

Les deux à la fois. Ayant eu une éducation très sévère - ce qui est très bien - je savais me tenir partout où m'emmenaient mes parents et je travaillais bien en classe. Mais, quelque peu bavarde, j'avais tendance à dissiper mes camarades et je jouais plus facilement aux cow-boys, aux Indiens ou à Zorro qu'à la poupée. La teinture d'arnica a défilé à la maison.

Vous vous entendiez bien avec vos camarades ?

J'étais souvent leur oreille, leur confidente. Bien que terriblement timide, je savais prendre une décision quand il y avait un problème; de la sixième à la terminale, j'ai été chef de classe. À Bourg-la-Reine, où je vivais, j'étais chef d'une bande composée exclusivement de garçons plus âgés que moi.

Aviez-vous alors envie de faire un autre métier que celui que vous avez choisi ?

Je voulais être archéologue... Jusqu'au jour où je me suis renseignée sur le contenu de l'examen : allemand, latin, grec, mathématiques... tout ce que j'aimais ! J'ai donc envisagé le tourisme, après un test d'orientation, On m'avait recommandé un métier à contacts humains.

Le théâtre vous attirait déjà ?

Oui, depuis la sixième, j'ai fait tous les spectacles de fin d'année, c'était même ce qui me préoccupait le plus dans mes études. Un de ces spectacles, « Un Caprice » d'Alfred de Musset, que nous avions osé monter et adapter en moderne (avec tutoiement, changement de prénoms et tenues en jeans) nous a valu de passer le concours inter-lycées de Marcelle Tassencourt à Versailles, où Jacqueline Joubert m'a remarquée.

Parce que vous étiez particulièrement bonne comédienne ?

Surtout parce que j'ai très bien réagi à deux accidents de parcours pendant la grande déclaration d'amour de mon partenaire : d'abord une bougie qui a commencé à mettre le feu à la table, ensuite un réveil intempestif qui s'est mis à sonner. Dans les deux cas, je me suis levée tranquillement pour « éteindre » les catastrophes, tout en écoutant le discours amoureux. Ce côté « direct » a frappé Jacqueline.

Pourquoi ne vous a-t-on pas revue au cinéma depuis « L'amour en fuite » et « Pile ou face » ?

Par malheur et par bonheur, j'ai commencé avec François Truffaut. Il aimait ma spontanéité, mon naturel, mon côté androgyne. Quand on a commencé à tourner, il s'est mis à réécrire le scénario chaque jour en fonction de ce que je faisais, avec des mots à moi. Mais on m'a dit, après, que j'avais mangé mon pain blanc. Avec Robert Enrico, c'était plus physique, il fallait que je tienne le coup entre Noiret et Serrault. En fait, j'ai eu ensuite plusieurs propositions, mais après deux films pareils, on se donne la peine de choisir le troisième. D'autant que, ne vivant pas du cinéma, j'ai la chance de pouvoir éviter les concessions. Je crois que je tournerai plus tard, vers quarante ou cinquante ans; je dis peut-être un truc idiot, mais c'est ce que j'ai dans la tête.

Et la chanson, vous en aviez envie ?

Pas du tout. Quand on m'a proposé de faire un disque, j'y ai mis une condition : ne pas chanter ! Je devais dire des poèmes, et raconter des histoires. Ça m'a vite ennuyée. Quand on m'a demandé de chanter deux phrases, pour une transition, j'ai vu que je chantais juste. Bien que têtue comme une Bretonne, je ne suis pas bornée, alors j'ai chanté les quinze chansons.

Le quarante-cinq tours « Vive les vacances » est sorti en juillet, pour quand l'album ?

Octobre-novembre. J'ai fini de l'enregistrer juste avant de partir pour la Louisiane. Ils ont acheté là-bas ma vidéo " Dorothée au pays des chansons " et m'ont demandé de venir les aider à promouvoir la défense de la langue française. Comme je ne connaissais pas du tout la région, c'était un peu des vacances.

Vous n'aimez pas les vraies vacances, sans rien à faire ?

Si, j'adore ça. Mais comme je n'ai plus l'habitude, j'ai peur de m'ennuyer.

Quand verrons-nous votre prochain spectacle ?

À Noël. Je n'en ai pas fait l'hiver dernier, parce que je ne le sentais pas et que je ne voulais pas que ça devienne une habitude. Mais je me suis rendue compte que ça me manquait terriblement. Sans compter les – gentilles - lettres d'insultes que j'ai reçues, de parents et d'enfants déçus.

Quand vous ne travaillez pas, que préférez-vous faire ?

Je reste chez moi, allongée devant la télévision, c'est ma décontraction.

Vos émissions préférées ?

Je regarde tout, toutes les chaînes, toutes les cassettes.

Vous ne vous endormez jamais devant un film ?

Jamais, j'en suis même incapable. Car c'est une chose épouvantable chez moi, je ne sais pas dormir. Parce que je suis un peu nerveuse, je mets déjà très longtemps à fermer l'œil et ensuite je me réveille toutes les deux heures. C'est très pénible, parce que je me lève encore fatiguée.

Entre les disques de platine, les premières places au hit-parade ou les records de taux d'écoute, y a-t-il des distinctions qui vous flattent plus que d'autres ?

Tout ce qui est récompense, diplôme, croix, etc. me fait toujours plaisir. Mais, sincèrement, les rubans officiels je m'en fiche un peu. Ce qui m'importe le plus, c'est, après le spectacle, de voir les enfants heureux.

En fait, votre métier est votre distraction favorite ?

Oui, c'est vraiment ma vie. Même quand, par hasard, je veux y échapper, il me rattrape. L'autre jour, je devais assister au montage de mon clip et j'ai exceptionnellement demandé à en être dispensée : je voulais déjeuner chez maman pour l'anniversaire de ma grand-mère. Eh bien, tous les voisins en ont profité pour défiler à la maison et ma réunion familiale s'est transformée en séance de dédicaces.

Envisagez-vous d'avoir un jour un enfant ?

J'aimerais beaucoup, mais ce ne serait pas du tout la même vie, je ne pourrais plus travailler autant. Alors il faudrait que je réfléchisse et que je choisisse... Et, si j'aime bien agir, j'ai horreur de choisir.

Vous arrive-t-il d'être amoureuse ?

Oh non ! C'est trop fatigant.

Qu'est-ce que c'est que l'âge pour vous ?

Une prise de conscience récente. L'autre jour, un jeune homme de vingt et un ans est venu m'interviewer. D'emblée, il me déclare : « Je ne vous demanderai pas de me raconter vos débuts. » Moi, je suis satisfaite de rencontrer quelqu'un qui sait se renseigner, mais voilà qu'il enchaîne : « Parce que je vous regardais quand j'étais petit. » Là. j'ai réalisé que ça fait quand même treize ans que je suis sur l'antenne. Mais, à trente-deux ans. pour moi, c'est toujours pareil. Je ne me sens pas grandie, pas vieillie. Dans la tête j'ai toujours quatre ans.

Vous êtes-vous déjà imaginée en vieille dame ?

Oui... J'adore me déguiser en vieille dame, c'est une passion et je me vois très bien arriver à un grand âge. J'espère vieillir comme ma grand-mère qui, à quatre-vingt-quatre ans. pète le feu et a toujours une humeur et une activité fabuleuses. J'aimerais devenir une sorte de grand-mère indigne.

Et si un jour on vous oubliait ?

Oh ! Ce serait la pire des choses. Tous les jours j'y pense, tous les jours je me dis que c'est une chose que d'autres ont connue. Le public est très dur. C'est mon gros cafard, ma principale angoisse. Mais j'essaie de me mettre en tête cette possibilité.

Vous voyez-vous encore longtemps animer « Récré A2 » ?

Je ne sais pas. Je pense que les enfants me feront comprendre qu'il est temps que j'arrête. Je crois que je saurai m'en rendre compte seule quand je m'ennuierai à le faire...

Michèle Laxteri

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