top of page

Goldorothée – Tout est affaires
Télérama – 14 septembre 1988

1988 - Tout est affaire (1).png
1988 - Tout est affaire (2).png

Cette année-là – 1976 – Jean-Luc Azoulay était jaune comme un citron. Hépatite virale, avait diagnostiqué le docteur, prescrivant du même coup deux mois de repos complet. Manager de Sylvie Vartan et, depuis peu, propriétaire d’une maison de disques (AB Productions), Azoulay est un garçon débordant d’idées et d’énergie. Pas vraiment le genre à rester cloué devant sa télé… Pourtant, cet alitement forcé, Jean-Luc Azoulay lui doit sa fortune. Elle se présente non pas sous la forme d’un crapaud, comme dans les contes de fées, mais sous celle, bien plus séduisante, d’une petite frimousse au nez pointu et au regard plissé – genre Ma sorcière bien aimée – qui anime une émission pour enfants sur la Deux.

Tout de suite, c’est le déclic : Jean-Luc « décide » que Dorothée, car c’est elle, doit absolument chanter des chansons pour les gosses. En tout cas, il va faire tout ce qu’il peut pour la convaincre. Après tout, se dit-il, la seule vraie vedette pour enfants, c’est Chantal Goya. Il y a largement de la place pour une deuxième… Or, pour l’instant, Dorothée n’est qu’une petite animatrice peu connue du grand public, qui doit faire ses preuves. Pour Azoulay, c’est tout simplement une star qui s’ignore.

 

1 200 heures de programme par an

Coups de fil, rencontres, palabres (« Mais je ne sais pas chanter » ; « Mais si, mais si… ») et, après trois ans de tergiversations, un premier disque : Rox et Rouky (tube-gling-gling) suivi d’un second, Hou, la menteuse ! (retube et regling-gling) et ainsi de suite jusqu’au dernier-né : Attention, danger. Entre les deux, onze millions de disques vendus, sans compter la collection des disco-puces, un répertoire de 250 vieilles chansons françaises enregistrées par cette nouvelle « amie des enfants » qui constituent un fond de catalogue inépuisable.

Dorothée, elle, ne se laisse pas griser par le succès. Ce n’est pas parce que ses disques marchent qu’elle va abandonner son émission sur A2. Elle a mangé assez de vache enragée (huit mois de chômage en 1976 après qu’on l’eut remerciée à la télé) pour savoir que rien n’est gagné d’avance. Et puis, comme elle l’avoue à plusieurs reprises dans les interviews, elle n’a rien ni personne d’autre dans la vie que le travail. Elle est débordée ? Tant mieux. Ça évite de s’angoisser et de se poser trop de problèmes… D’ailleurs, il n’est pas question, du moins pas encore, de laisser tomber « maman Joubert » à qui elle doit tout. C’est elle en effet qui l’a « découverte » dans un concours de théâtre interlycées en 1973 ! Durant près de dix ans, Frédérique Hoshédé (son vrai nom) poursuit sa double carrière de vedette / animatrice, s’entourant de toute une bande de « copains » tel l’affreux Jackie ou le dessinateur Cabu, qui rendra son nez presque aussi célèbre que celui de Cléopâtre. Les enfants adorent. Jacqueline Joubert jubile et la critique est unanime à saluer en Récré A2 une émission de qualité. Et puis c’est la privatisation de TF1 [en 1987, ndlr].

Tel Marlon Brando dans Le Parrain, Francis Bouygues fait à Dorothée « une proposition qu’elle ne peut pas refuser. » Pour commencer, il la nomme responsable des émissions jeunesse sur TF1 et lui confie le soin de remplir 1 200 heures de programme par an ! Elle veut travailler avec AB-Productions ? Qu’à cela ne tienne, Bouygues tient trop à elle pour lui refuser cette faveur. C’est entendu, Azoulay et Berda (A + B) livreront chaque année à la chaîne, et pendant trois ans, 1 200 heures clé en main pour 120 000 francs l’heure environ. Une véritable aubaine pour les Roux et Combaluzier du disque pour enfants : eux qui étaient jusqu’à présent complètement en dehors du circuit télé, les voilà propulsés d’un seul coup au rang des plus gros producteurs français avec vingt-deux heures de programmes par semaine. Manque d’expérience ? de matériel ? Qu’importe, grâce au savoir-faire de Dorothée et de ses petits copains d’Antenne 2 qui l’ont suivie sur la Une (« Ils ont failli me laisser sur la paille », se plaint Jacqueline Joubert, furieuse de cette trahison), l’équipe d’AB concocte, en moins de deux, un programme hebdomadaire taillé sur mesure pour leur patronne / copine.

Un vrai marathon

Ce sera, tous les matins à partir de 7h30, le Club Dorothée avec, essentiellement, des dessins animés dont Dorothée enregistre le générique en français. Pour le dimanche, l’équipe a mis au point une sorte de Collaro Show pour les petits, Pas de pitié pour les croissants, où officient, outre Dorothée elle-même, ses complices Ariane, Corbier, Jacky et Patrick Simpson Jones. De toute cette joyeuse bande, seul l’ancien présentateur d’Antenne 2 semble un peu gêné de se livrer à ces pitreries : « Si Télérama s’intéresse à nous, c’est mauvais signe, glisse-t-il à Jean-Luc Azoulay avant de supplier, mi-figue, mi-raisin : surtout, dites bien à vos lecteurs que je n’ai pas pu faire autrement… Inventez n’importe quoi pour me disculper ! » Il faut dire que le niveau de Pas de pitié… n’est pas toujours très élevé et que les gags sonnent parfois un peu faux. « Je n’arrive pas à trouver d’auteurs », se lamente Azoulay qui avoue être « obligé », en plus de tout son travail, de pondre chaque semaine les quarante pages de Pas de pitié pour les croissants.

La journée du mercredi, bien qu’éprouvante, pose moins de problèmes de création : presque huit heures de direct – un vrai marathon pour Dorothée et son équipe – où sont proposés pêle-mêle des jeux, des séquences d’humour, des rubriques « culturelles », des chansons (essentiellement celles de Dorothée) et, bien entendu, les inévitables japoniaiseries sidérales ou… sidérantes de nunucherie larmoyante. Lorsqu’on lui en fait la remarque, Dorothée ouvre des yeux ronds comme Candy : « Ah bon ? Vous n’aimez pas ? Moi je trouve que ces dessins animés mettent en avant des sentiments très nobles comme l’amitié, l’honnêteté… des sentiments auxquels je crois moi-même énormément… »

Cela ne l’empêche pas, Dorothée, de rêver à des séries françaises. Mais, constate-t-elle avec tristesse, ça coûte très cher et, de plus, la France est très en retard techniquement. Et puis, mais cela Dorothée semble l’ignorer totalement, la France n’a pas toute l’infrastructure des fabricants de jouets japonais (en particulier le puissant Bandai) qui financent en grande partie les Goldorak et autres Bioman et ont tout intérêt à ce que ceux-ci soient exportés à bas prix. Les dessins animés ne sont, après tout, que de longs spots publicitaires qui incitent les enfants à acheter leurs héros en plastique. Mais puisque ces séries vantent l’honnêteté, l’amitié… Naïve ou bonne comédienne, Dorothée n’en est pas moins à la tête d’une industrie qui atteint les 250 millions de francs de chiffre d’affaires par an et emploie pas loin de cent personnes.

À ceux qui lui reprochent d’être à la fois juge et partie, l’ancienne speakerine d’Antenne 2 répond qu’après quinze ans de télévision sans gros moyens, elle avait besoin de passer la vitesse supérieure. « Je déteste qu’on me parle de « créneau » des enfants. C’est un mot affreux. Je fais ce métier parce que je l’aime et je ne me soucie absolument pas de rentabilité. Si j’ai choisi de travailler avec AB-Productions, c’est avant tout parce que ce sont des amis. J’ai toujours fonctionné comme ça. » Ce n’est pas l’avis de Jacqueline Joubert, son ancienne patronne d’Antenne 2, pour qui Dorothée a vendu son âme à des « gangsters… Elle se maquille de plus en plus, au point d’en devenir vulgaire, note avec amertume l’ex- « seconde maman ». La rupture est consommée et Dorothée en prend son parti : « Il faut bien quitter un jour sa famille ». Ce qu’elle n’aime pas, en revanche, c’est qu’on l’accuse, comme l’a fait la CNCL, de monopoliser le secteur des émissions pour la jeunesse.

« Contrairement aux adultes qui sont capables de rester poliment devant leur poste, même si ce qu’ils regardent les ennuie, les enfants, eux, ne se forcent jamais à regarder la télé. Quand ça ne leur plaît pas, ils zappent. » En attendant, pour faire face à la demande, Azoulay et Berda font construire un studio ultra-moderne de 6 000 mètres carrés (pour un coût de quatre milliards de centimes !) à côté de leur ancien bureau à la Plaine Saint-Denis. Bien entendu, un si gros chantier ne pouvait être entrepris que par un très petit nombre d’entreprises. Par bonheur, un certain Francis Bouygues, entrepreneur de travaux publics, leur a fait une « proposition qu’ils n’ont pas pu refuser… »

Dorothée magazine - logo.png
  • Instagram
  • Facebook
  • TikTok
  • Les fils
  • Youtube
LOGO - Génération Récré A2.png

Webmaster : Alban Brouillard

bottom of page