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Dorothée : "Ne confondons pas violence et action"

Télé 7 Jours - 1989

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VOUS L'AVEZ MISE EN ACCUSATION DANS VOS LETTRES ET DANS CELLES QUE VOUS ADRESSEZ A SEGOLENE ROYAL. ELLE REPOND A TOUT ET A TOUS.

Au mois de janvier, Ségolène Royal déclarai dans « Télé 7 Jours »: « Sur TFI, c'est la loi du moindre effort. Une seule productrice monopolise les émissions jeunesse. On ratisse large. Il faut faire de l'audience. » Le député des Deux-Sèvres, auteur du best-seller « Le Printemps des grands-parents », qui a déposé un amendement à la loi Léotard, en décembre dernier, pour lutter contre la violence à la télévision, ajoutait : « On diffuse à tour de bras des dessins animés japonais violents, qui n'ont même plus de scénario... » Quelle volée de bois vert au moment où TFI ressuscite le carré blanc sous la forme d'un triangle bleu...


Depuis, nous avons reçu des milliers de lettres approuvant Ségolène Royal, mettant Dorothée en accusation. Elle répond à tout et à tous.

On vous reproche la violence de ces dessins animés japonais dans les 22 h de programmes que vous produisez chaque semaine.
Ne confondons pas violence et action! Moins d'un tiers des dessins animés proposés aux enfants sont violents. En fait, les dessins animés d'action ne représentent que 60 minutes sur 22 h de programme. Les dessins animés ne sont, dans l'ensemble, pas très brutaux. Le seul qui soit vraiment disons, agressif, c'est « Ken le survivant », diffusé le mercredi dans le « Club Dorothée », à partir de 14 h.

Qui choisit les programmes que vous diffusez?
La première sélection, c'est moi qui la fais et, en ce qui concerne les dessins animés japonais, je ne choisis pas les plus violents, loin de là. Ensuite, je lance un référendum auprès des jeunes téléspectateurs. Je leur propose un éventail d'extraits et je leur demande soit d'écrire, soit d'exprimer leur avis par minitel. Comme cela a été le cas pour « Ken le survivant » (voir encadré).

Les parents, dont Ségolène Royal s'est fait le porte- parole, estiment que, dans ces dessins animés japonais, les enfants ne s'y retrouvent plus parce que les scénarios accordent la même importance aux « bons » et aux « méchants ». Les enfants n'ont plus alors de références, de repères.
Pas d'accord. Le créateur de « Goldorak » - que Jacqueline Joubert, qui a créé le service jeunesse d'A2, avait mis elle-même à l'antenne - explique: « Les rapports humains sont basés sur la force. Pourquoi leur cacher (aux enfants) la vérité ? » Les enfants japonais comprennent la différence entre le bien et le mal. Les programmes japonais ont dix ans d'avance sur les nôtres. D'ailleurs, je discute avec les enfants et les parents au cours de mes tournées à travers la France et je ne les ignore pas. C'est aux parents de dire oui ou non à tel programme. D'autant plus qu'à 10 ans, deux enfants n'ont pas forcément la même sensibilité.

Oui, mais les parents souhaitent- le mercredi après-midi en particulier - une télévision que les enfants puissent regarder tranquillement en leur absence. Une télé sans violence.
Les enfants regardent ce qu'ils aiment. Et le mercredi, le seul dessin animé agressif, c'est « Ken le survivant » (voir encadré). Et puis les enfants savent très bien zapper, changer de chaîne avec la télécommande.

On vous accuse d'avoir le monopole des émissions jeunesse sur TF1.
C'est vrai, et c'est bien parce que c'est pratique. Avec mon équipe, nous discutons directement avec la direction de la chaîne. Il n'y a pas d'intermédiaire, c'est un gain de temps.

Oui, mais la concurrence, ce ne serait pas un moyen d'exciter l'imagination?
Je ne crois pas. Ce serait installer une rivalité au sein de l'unité jeunesse et ce ne serait profitable à personne.

Quel est le budget dont vous disposez ?
Je ne le sais pas. Il y a un atelier financier à TF1 qui s'occupe de toutes ces questions. Moi, je fais des propositions et on me dit seulement si ça entre dans le budget ou si c'est d'un coût trop élevé (1).

Ségolène Royal propose que les recettes publicitaires du mercredi, par exemple, soient totalement affectées aux programmes jeunesse.
Excellente idée. Avec des budgets plus importants, on pourrait faire de bien meilleures choses, avoir des studios.

On vous reproche de ne pas favoriser la création française.
Ce n'est pas vrai, puisque nous préparons une adaptation de la comtesse de Ségur, entièrement tournée en France. C'est bien d'apporter ainsi les classiques de notre littérature aux enfants. Et puis, nous avons lancé, avec TF1, un bureau d'études dirigé par René Borg, l'un des pères des « Shaddocks », pour recevoir les jeunes dessinateurs et mettre des choses nouvelles en chantier. Il faut un minimum de dix-huit mois pour en voir les premiers résultats à l'antenne.

Quand vous choisissez les programmes, quels sont vos critères ?
Cela fait quatorze ans que je m'occupe d'émissions pour enfants. Sept ans que je propose des spectacles. Je vois sans arrêt des parents et des enfants. Je parle avec eux. Je vois ce qui leur plaît et ce qui leur déplaît... Quand ils ne sont pas d'accord, eh bien, je rectifie le tir. Nous avions supprimé « Candy ». Nous l'avons reprogrammée parce que les enfants la réclamaient. Quand je sélectionne les programmes, je commence par retenir ce qui me plaît et puis ce qui leur plaît.

Quel est pour vous le rôle de la télé par rapport aux enfants?
Au départ, c'est un divertissement. Moi, je ne suis pas prof. Je préfère leur apprendre des choses dans mes reportages. Quand je suis partie au Japon ou aux Etats-Unis, j'ai rapporté des séquences concernant la vie dans ce pays. Je leur apprends au passage à découvrir d'autres sociétés que la nôtre.

On vous reproche aussi la publicité qui coupe les programmes pour les enfants ?
Les enfants adorent ça et ça ne les perturbe pas, car les spots sont sélectionnés et surveillés. N'oubliez pas que TF1 ne vit pas de la redevance. La pub paie les programmes.

Comment réagissez-vous à toutes ces accusations ?
Cela ne fait pas plaisir, mais c'est normal. Cela signifie, en tout cas, que les programmes sont regardés. Quand on a 50 à 60 % de part du marché, par rapport aux autres chaînes, donc un public fidèle et sympa, c'est dommage qu'une minorité le traite d'imbécile, ce public. Qui a raison ? Les millions de téléspectateurs qui regardent ou les quelques milliers qui critiquent ? Je pose la question.

Avez-vous vu dans d'autres pays, des programmes jeunesse dont vous aimeriez vous inspirer ?
Non. Nous sommes les seuls à faire des émissions avec des directs et des animations. Les Américains voulaient même me faire venir aux Etats-Unis. J'ai dit non !

Il est juste d'ajouter que nous avons reçu également beaucoup de lettres prenant la défense de Dorothée et de ses émissions. Le débat continue...

Carole SANDREL

1) TFI achèterait à A.B. Productions, la société qui a Dorohée sous contrat, 120 000 F l'heure d'émission, ce qui, compte tenu de l'audience, est d'un excellent rapport « qualité-prix ».

LES LAISSER REGARDER OU PAS...
Laissez-les regarder la télé. C'est le plaidoyer de François Mariet dans un livre qui porte justement ce titre et paraît chez Calmann-Lévy. Bernard Pivot a invité à « Apostrophes », le 10 mars, ce professeur d'université qui prend le parti de la télévision et des enfants : « La télévision, dit-il, est déclarée coupable de tous les maux de la terre et de ses environs. On lui impute des maladies, la bêtise, l'ignorance, l'inculture, la violence, la vulgarité. Et de tout cela, pas la moindre preuve n'est avancée. Pour un peu, on la rendrait responsable du mauvais cours des saisons. » A cela, nous pouvons répliquer, comme Ségolène Royal, qu'en une semaine de programmes, on a pu relever 15 viols, 27 scènes de torture, 13 tentatives de strangulation, 3 suicides et 670 meurtres ! Alors les laissez regarder ou pas la télévision... quelle doit être l'attitude des parents quand leurs enfants insistent pour qu'on allume la télévision, à moins qu'ils ne l'allument eux-mêmes ? Comment doit-on choisir les émissions qu'ils peuvent voir sans problèmes. C'est un autre débat pour lequel nous attendons vos lettres.
Alain LAVILLE

LA TENDRESSE DE MON PETIT PONEY
On accuse aussi, dans les lettres que nous avons reçues, les dessins animés et les émissions de Dorothée d'être « niais ». Que ces critiques, répond-elle, regardent aussi « Juliette, je t'aime », ou « Dragon Ball » ou « Jeu, set et match » sur le tennis ou « Le Docteur Slung », histoire d'un savant foldingue, ou « Willy Boy », histoire de cow-boy ou « Mon petit poney », histoire pleine de tendresse et ma séquence hebdomadaire sur les livres et les bandes dessinées.

LES FOLIES DE KEN LE SURVIVANT
« Ken le survivant » avait été jugé trop agressif et je l'avais retiré de l'antenne, explique Dorothée. Mais les enfants m'ont écrit, appelée par Minitel, et m'ont même prise à partie. Ils voulaient absolument que je le reprogramme. Je leur ai expliqué clairement le problème au cours de l'émission en direct du mercredi, et je leur ai dit : « Voilà, vous avez 15 jours pour m'écrire et me donner votre opinion. » Plus de 92 % de mes jeunes correspondants ont réclamé le retour de « Ken le survivant » et je l'ai donc remis aussitôt à l'antenne…

 

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