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L'histoire secrète du "Club Dorothée"

Technikart - 2006

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Dix ans après l'arrêt de l'émission qui rythmait nos mercredis après-midi, «Technikart» est parti à la recherche de ses acteurs. Tournages en folie, éclate régressive, pétages de plombs... Dorothée, Jacky, Corbier et les autres disent tout sur les coulisses du «Club Dorothée »
TÉLÉVISION PAR NICOLAS SANTOLARIA


Si vous avez pleuré devant Candy, cet article est pour vous. Dix ans après sa disparition, l'esprit du Club Dorothée hante encore nos têtes d'enfants devenus adultes, comme si quelque chose de cette période ne voulait pas mourir. Depuis peu, ce spectre 80's resté longtemps assoupi recommence à se manifester sous les formes les plus diverses: alors que les Musclés sortent un titre qui cartonne sur Internet (le très roots Nicolas et Ségolène), Jacky anime les Années Club Do sur AB1 où il rediffuse, entre autres, des extraits du légendaire Pas de pitié pour les croissants.
« Ce n'est pas tout, explique Patrick Simpson Jones, qui nous accorde sa première interview après une décennie de silence, toute l'équipe du Club Dorothée devrait être réunie prochainement dans un long-métrage. On aimerait aussi faire une tournée théâtrale pour aller à la rencontre de nos quinze millions de fidèles. Aujourd'hui, on est devenus cultes chez les trentenaires. » Sortez vos BN, l'heure de découvrir la véritable histoire du Club Dorothée a sonné.


BLONDE VIRGINALE
Tout commence par une pizza aux moules pas fraîches avalée à la fin des années 80 par Jean-Luc Azoulay, cofondateur du groupe AB. « J'ai fait une hépatite et ça m'a obligé à rester au lit, témoigne-t-il. En regardant la télé, je suis tombé sur Dorothée, qui était speakerine à l'époque. Je l'ai trouvée formidable et je l'ai contactée. » En 1987, la blonde mutine quitte alors Antenne 2 pour rejoindre TF1, qui sous-traite ses programmes jeunesse à AB.
Pendant dix ans, Dorothée va incarner à la perfection cette blonde inaccessible dont la pureté mise en scène marquera à jamais des générations de garçons (à côté de ce mythe étincelant, les autres filles font tout de suite plus cracra). « Dorothée, c'était une fleur qui s'ouvrait quand les caméras s'allumaient. Elle me faisait peur parce qu'il n'y avait que ça qui comptait dans sa vie », se souvient Patrick Simpson Jones. Derrière Dorothée, Azoulay a recruté une équipe de choc: Corbier, un anar qui ne sait pas trop ce qu'il fout là; Jacky, un rocker électrique; Ariane, une ancienne comédienne; et notre ami Patrick, gentleman casse-cou qui allume ses feux de cheminée avec des exemplaires de l'Humanité.


SEXUALITÉ OMNIPRESENTE
Contre toute attente, l'association fonctionne et les audiences explosent. « C'était Hollywood à la Plaine-Saint-Denis, se souvient Jacky. On tournait mille heures de programmes par an. » De cette machinerie productive se dégage une énergie décomplexée. Entre Eugène Ionesco et le marquis de Sade, les scénarios loufoques imaginés par Jean-Luc Azoulay accouchent d'un univers absurde où la sexualité est à la fois omniprésente et métaphorisée. Le clip de la Merguez-partie, avec de gros lourds en chemises hawaïennes agitant des saucisses sous le nez de jolies filles, est une illustration parmi d'autres de cette contrebande pulsionnelle. « La série Salut les Musclés, c'était des belles gonzesses presque à poil et des types en rut. Je ne sais pas ce que ça venait foutre dans une émission pour enfants », se demande Corbier à posteriori. Mais se souvient-il au moins qu'à l'époque, il chantait: « Il n'y a pas de consensus, ni de Cuba sans cacao »?
Les délires de notre fine équipe ne s'arrêtent pas à quelques jeux de mots grivois. « Un jour, se souvient Jacky, j'incarnais un prof de gym et une couille s'est échappée de mon short. Le problème, c'est qu'on était en direct. » Ariane confirme: « Dorothée me donnait des coups de coude en disant entre ses dents: "Ya la couille gauche de Jacky qui dépasse !" Et là, on est partis dans un grand éclat de rire. » Une autre fois, c'est une vache qui tombe dans la piscine du Club Dorothée Vacances pendant que le dromadaire Sahara (dont Jean-Luc Azoulay double la voix) mâchouille tranquillement des Chamallow.


DÉRAPAGES ET DÉLOCALISATION
Dans ce climat où plus personne ne touche terre, même Corbier, paisible ménestrel, se met à péter les boulons: « Azoulay avait écrit un sketch où Jacky incarnait le personnage du Rabin des bois, se souvient l'homme à la guitare. On était en direct et là, sans trop savoir pourquoi, j'ai dit: "Radin des bois. "Tout le monde nous est tombé dessus. » Pour éviter les dérapages, l'équipe est sous haute surveillance. Depuis son bureau tapissé d'écrans de contrôle qui transmettent en live les images des plateaux, Jean-Luc Azoulay garde en permanence un œil sur cet univers qu'il a construit en partant de rien. Délire de toute puissance? Peur que les choses lui échappent? « Je suis un des spots éclairés », reconnaît celui que ses employés appellent tout simplement « Dieu » en pointant un index vers le ciel. « Azoulay est la fois totalement mégalo et totalement humble », analyse Ariane. Considéré par la plupart de ses collaborateurs comme un créateur génial, Jean-Luc a soudain une nouvelle idée. Délocaliser le Club Dorothée aux quatre coins du monde durant les vacances scolaires. « Mon projet, c'était de faire voyager les gamins », se souvient le loufoque producteur, qui pilotait ces opérations aéroportées avec une casquette à hélices sur la tête. « Le problème, c'est que nous, on ne voyait rien des curiosités touristiques locales, regrette Corbier. Il fallait bosser tout le temps. »


« JACKY A COUCHÉ AVEC UNE POULE »
Durant ces expéditions, Azoulay n'oublie jamais d'organiser un tournage au large pour se marrer. Jacky, qui ne sait pas nager, entre dans des colères folles avant de se retrouver un peu plus tard en train de dégobiller à l'arrière d'un sardinier. Lors d'une virée à Saint-Pétersbourg, c'est tout à coup Patrick Simpson Jones qui se met à faire des siennes. Dans le cadre d'un jeu un peu débile, il se fracasse le nez lui-même en se catapultant une tarte à la crème en plein visage. L'incident est retransmis en direct sur la télé russe. Une autre fois, notre gentleman casse-cou échappe de peu à la mort après être passé sous les rouleaux d'une station de lavage automatique de voitures pour les besoins d'un sketch. « Mais on n'a jamais tué personne », précise Ariane, qui a survécu à une piqûre d'araignée aux Antilles.
A ce stade de notre enquête se pose une question: est-ce que tous ces gens ont couché ensemble? « Oui, Jacky a couché avec une poule », balance Ariane. L'intéressé s'en sort par une pirouette: « Ça se passait très bien, on faisait des grosses partouzes. Non, je rigole ! On n'a pas eu tellement de relations sexuelles entre nous, y a eu quelques attouchements, mais sans le faire exprès... » Bernard Minet, quant à lui, avoue avoir vécu durant cette période « une vraie vie de rockstar», sans plus s'étendre sur les détails. De toute façon, à l'époque, l'équipe a l'esprit ailleurs.


LA CHARGE DE SÉGOLÈNE
Alors qu'AB devient la plus grosse boîte de production européenne et que les premiers mangas arrivent enfin sur nos écrans, l'intelligentsia de gauche (Télérama et Antoine de Caunes en tête) mitraille Dorothée à l'arme lourde, l'accusant de diffuser des images violentes et de crétiniser les gosses. Chez Ardisson, l'animatrice à queue de cheval déverse un seau à champagne sur la tête de Baffie pour protester contre un sketch où sa probité est mise en cause. Mais la charge la plus violente viendra de Ségolène Royal, qui publie le Ras le bol des bébés zap- peurs.« Imaginez, écrit à l'époque la candidate à la présidentielle, ce que Dorothée aurait pu faire avec le taux d'audience dont elle bénéficie pour distraire, transmettre, émerveiller, apprendre... Crédit qu'elle est en train de perdre à cause de ses excès commerciaux qui commencent à choquer, même ses "fans".» Pour répondre à ces accusations, Azoulay imagine un sketch dans lequel Ariane et Jacky vident une poubelle où se trouve le livre de Ségolène. Qui oserait un truc pareil aujourd'hui ? Contrairement à l'idée répandue à l'époque, l'équipe se soucie du devenir de ses jeunes téléspectateurs, parfois au-delà même du raisonnable.
Pendant cinq ans, Ariane entretiendra ainsi une relation épistolaire avec une jeune fan qui lui raconte des histoires de plus en plus sordides. Pour aider cette adolescente devenue un vrai double névrotique, l'animatrice remue ciel et terre, va voir les associations et crame le peu d'énergie que lui laissent son travail au Club Dorothée, ses grossesses en direct (Azoulay a aussi inventé la télé-réalité) et sa relation avec Rémi des Musclés.


SITCOMS AU SHIT
Soudain, au-dessus du petit eden cathodique, les nuages s'amoncellent. « A partir de 1994, la production s'intéressait moins à ce qu'on faisait, se souvient Corbier. Ils étaient débordés par les sitcoms. Dorothée en a beaucoup souffert.» Jusque-là préservée, la petite équipe essuie ses premiers outrages. « Azoulay m'a fait savoir que TFI voulait que je me rase la barbe, parce que ça faisait vieux et sale, raconte Corbier. J'ai accepté connement. Les quatre dernières années, notre émission était en perte de vitesse et des gens nous disaient: "Vous faites chier, on vous voit tout le temps." Un jour, en tournage, je faisais une pause à une terrasse de bistrot lorsque quelqu'un a balancé une pierre dans la vitre, qui s'est écroulée derrière moi. Comme je ne faisais pas ce métier pour qu'on me déteste, j'ai tout arrêté ! »
Pendant ce temps-là, Azoulay est occupé à inventer un nouveau genre: la sitcom. De jeunes comédiens à gros melons viennent grossir les rangs de Premiers Baisers, Hélène et les Garçons ou encore le Miel et les Abeilles. Un vent d'intense folie souffle sur les plateaux de la Plaine- Saint-Denis. « Je fumais constamment. Il n'y a pas un épisode du Miel et des Abeilles où je ne sois pas cassée », expliquera plus tard Malaury Nataf à Technikart. Celle qui doit sa notoriété à une apparition sans sous-vêtement à l'écran incarne à sa manière l'hédonisme barré de cette période borderline.


«SUPPRIMÉ D'UN TRAIT DE PLUME≫
Dans les Années sitcom (Médiacom), Fabien Remblier (Jerome, de Premiers Baisers) écrit: « Malaury n'était pas la seule à ne pas porter de culotte chez AB. A l'époque, il m'est aussi arrivé de voir un comédien glisser sa main sous la jupe de sa partenaire en plein tournage et la caresser avec insistance.» Soudain, un jour de 1997, cet univers parallèle et libertin retourne au néant. « Quand on a monté le bouquet ABsat, explique Jean-Luc Azoulay, TFI l'a très mal pris et Patrick Le Lay a supprimé d'un trait de plume le Club Dorothée et les sitcoms. » Ainsi s'achève l'aventure la plus créative et humainement déjantée de la télévision française. Depuis, les chaines hertziennes ont repris le contrôle de leurs programmes jeunesse, apprenant aux enfants l'évangile consummériste à coups d'images 3D. « Ce que je ne comprends pas, conclut Ariane, c'est qu'il n'y ait pas un péquin genre Arthur pour rediffuser les images du Club Dorothée. C'est insensé, non ?!» Décidément, pas de pitié pour les croissants.


NICOLAS SANTOLARIA

 


DOROTHÉE, DIX ANS APRÈS:
« MOI, J'AI TOUJOURS 4 ANS »
Après des années de silence, l'animatrice du «Club Dorothée» accorde une interview exclusive à «Technikart». L'heure de sortir de l'ombre a-t-elle enfin sonné ?


DOROTHEE, LA DERNIÈRE FOIS QU'ON VOUS A VUE, C'ÉTAIT POUR UN « VIVEMENT DIMANCHE » SPECIAL CHANTAL GOYA. VOTRE APPARITION A FAILLI DECLENCHER UNE ÉMEUTE...
Je venais faire un coucou à Chantal sans penser que ça ferait un tel tabac. Ça m'a touché.


POURQUOI TOUTES CES ANNÉES DE SILENCE?
Je ne sais pas, la vie a fait que. Il fallait peut-être laisser la place aux autres. En revanche, ce que j'ai fait de ces années, c'est du domaine du privé ! Ce que je peux dire, c'est que je regarde « New York District» et «les Experts», je parraine un très bon spectacle intitulé «Au royaume des bonbons », je déjeune avec d'anciens adhérents du « Club Do» et je réponds aux lettres que je reçois, notamment pour mon anniversaire.


C'EST QUAND VOTRE ANNIVERSAIRE?
Ah ben, si vous ne savez pas ça !


DIX ANS APRÈS L'ARRÊT DE L'ÉMISSION, ON A LE SENTIMENT QU'UN ENGOUEMENT SE DÉVELOPPE, NOTAMMENT VIA INTERNET...
C'est vrai. D'ailleurs, je ne pensais pas que « le Club Dorothée» avait eu un tel impact.


VOUS ÉTIEZ QUAND MÊME UNE MEGASTAR...
Ben, je ne sais pas, moi... Quand on est pris dans l'engrenage, on ne se rend pas compte. On bossait tout le temps, parfois jusqu'à 6h00 du matin. C'est quand c'est fini qu'on se dit: Zut, c'était un bon moment, une belle époque.


VOUS NE PENSIEZ PAS DEVENIR DOROTHEE?
Non, c'est sûr. C'était une sorte de spirale dans laquelle on s'est retrouvés piégés.


LA DOROTHÉE À L'ÉCRAN, C'ÉTAIT VOUS?
C'était moi, c'était ma vie et ça l'est encore. Je n'ai jamais triché. Moi, j'ai toujours 4 ans. Ah non, plutôt 5, parce que j'ai grandi.


COMMENT DÉFINIRIEZ-VOUS L'ALCHIMIE PARTICULIÈRE DU CLUB DOROTHÉE ?
Si on pouvait la définir, ça voudrait dire qu'on aurait la recette. Y a pas d'explication. C'est comme une mayonnaise, ça prend ou ça ne prend pas.


LA MAYO, CA PREND NEUF FOIS SUR DIX...
Oui, mais analyser la recette ne sert à rien. Il s'est passé entre nous cinq comme un petit miracle. Même si ce n'était pas très intellectuel, on s'amusait en faisant des bêtises, sans penser à l'Audimat. Tout ça grâce à des producteurs gentiment allumés, Claude Berda et Jean-Luc Azoulay. Coup de bol, ça a plu.


L'UNIVERS ABSURDE DE PAS DE PITIÉ POUR LES CROISSANTS, ÇA ÉVOQUAIT QUOI POUR VOUS?
C'était la réalisation d'un rève d'enfant. Petite, j'avais deux passions: devenir égyptologue et faire des spectacles pour ma famille. C'est donc un peu le prolongement de tout ça.


COMMENT AVEZ-VOUS VÉCU LES CRITIQUES À L'ÉGARD DE L'ÉMISSION, ACCUSÉE DE DÉBILISER LA JEUNESSE ET DE DIFFUSER DES IMAGES VIOLENTES?
Ces attaques gratuites me faisaient de la peine. Les journalistes me disaient: «Goldorak c'est dangereux ! Moi, je demandais directement aux gamins qui me répondaient: «Attends, on n'est pas des nouilles, on sait que c'est juste un dessin animé. L'important, c'est de voir que cette génération n'a pas été traumatisée par le Club Dorothée, qu'ils ont aujourd'hui des métiers corrects. Et vous, vous regardiez?


OUL.
Ça ne vous a pas traumatisé ?


NON, TOUT VA BIEN. D'UNE CERTAINE MANIÈRE, VOUS AVEZ ÉTÉ LA MAMAN DES TRENTENAIRES...
Ah non, non et non ! On ne remplaçait ni les parents ni les professeurs. On apportait juste un peu de détente aux gosses qui étaient à l'école toute la journée. J'estimais important qu'il y ait des intermèdes humains entre les dessins animés, que ça ne soit pas un dévidoir à séries, comme les émissions de jeunesse d'aujourd'hui. A l'époque, tout le monde pleurait devant « Candy». Ensuite, en plateau, on était là pour dédramatiser. Rassurez-vous, même si on avait l'air foldingue, on n'était pas fous.


POURQUOI ÇA S'EST ARRÊTÉ?
Parce que toute bonne chose a une fin. Et puis, quand on n'a plus le feu sacré, il vaut mieux ne pas continuer, quitte à revenir plus fort après.


N'ÉTIEZ-VOUS PAS DEVENUE GENANTE POUR TF1 ?
Non, on ne faisait pas de politique.


IL EST QUESTION D'UN LONG-MÉTRAGE AVEC L'ÉQUIPE POUR LE DIXIÈME ANNIVERSAIRE...
Je trouve que certaines personnes ont parlé trop tôt. Moi, je ne suis pas nostalgique à ce point.


DOROTHÉE, LES YEUX DANS LES YEUX-MÊME SI ON EST AU TÉLÉPHONE, AVEZ VOUS ENVIE DE REVENIR?
Ah oui! Mais avec qui, comment et quoi, j'en sais rien. Chez moi, tout est instinctif. Un déclic et toc.

ENTRETIEN N.S.

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