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Les enfants du cri

Extrait de l’article « Ce que vous ne voyez jamais à la télé »

Le nouvel observateur – 12 décembre 1991

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A vrai dire, c'est surtout par des cris que les enfants cathodiques se manifestent sur l'écran. Ils ont d'abord une existence gutturale. C'est pourquoi nous nous demandons sans cesse si ces gosses sont réellement de chair ou si ce sont des faux, agités par un manipulateur. Ecoutons Dorothée lorsqu'elle fait une brève incursion sur le plateau : « Bonjour ! Ça va ? Bon alors, nous allons passer ensemble trois heures de... ? » Les gamins, en hurlant : « De folie ! » Voilà, c'est tout. Cette fée venimeuse, fausse blonde vrai rictus, a fait son boulot, deux petits mots et puis s'en va, elle peut continuer à faire la promo de son dernier album et à gueuler en voix off. Elle peut les laisser, les bambins, devant les dessins animés japonais, pas plus stressants que les « Contes » de Perrault ou de Grimm, seulement voilà, Dorothée n'a rien d'une mère qui viendrait avec tendresse apaiser les frayeurs. S'il y a bien une chose dont elle se fout, Dorothée, c'est des mômes. Un créneau comme un autre. Vous l'avez déjà vue les toucher, leur parler, leur sourire, les embobiner comme sait le faire, bateleur inimitable de la fête foraine dominicale, un Jacques Martin ?
Pourtant, elle a au moins le mérite d'être là. De réciter des enchaînements, de pousser la chansonnette, d'apostropher les enfants en permanence par des « tu », « ton », « ta » qui leur donnent l'impression d'être des interlocuteurs très importants. D'être, tout simplement. Ou de ne pas être seuls. Ça n'a l'air de rien, mais au bout du compte - et c'est bien triste à dire – cela vaut encore mieux que tout ce que les autres chaînes proposent, suite de dessins animés, d'histoires, de feuilletons qui peuvent être excellents mais s'enchaînent sans qu'un visage, une voix, une présence viennent mettre un peu de chaleur et de vie dans le poste. Ce flot ininterrompu, qui empêche la pause des esprits en herbe, la respiration et la réflexion, la digestion de l'imaginaire ainsi assené, voilà ce qu'il y a de plus choquant. Jef, le petit aviateur animé de FR 3, est certes charmant. Mais vive la jolie Américaine Amanda, chef d'orchestre de « Pas de panique » sur la Cinq ! L'émission est une publicité clandestine pour les boules Quiès, mais aussi le seul jeu télévisé pour enfants qui fasse appel à des connaissances de bon niveau. Enfin on y échappe à la dictature de l'image pour l'image. Ouf ! Sans doute parce que nous sommes de grands enfants, nous avions failli être hypnotisés !

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