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La Piaf des mômes

Le nouvel observateur – 21 décembre 1984

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Dorothée. Mais Dorothée quoi ? Dorothée tout court. Avec sa queue de cheval, son nez en trompette et son sourire qui crève l'écran. Dorothée de « Récré A. 2 » à la télé. « Ouh! la menteuse, elle est amoureuse », ça vous dit quelque chose? Dorothée, l'idole des petites pointures. « J'aime bien Dorothée, elle fait des trucs rigolos. Elle est gentille : elle donne jamais de claques » (Thomas, six ans et demi). Tant mieux pour eux: Dorothée tient la vedette du programme des fêtes.
Ce soir, elle est plutôt échouée qu'assise dans ce café après le tournage de son émission en direct. Petite personne d'un mètre soixante- deux, minois menu, regard en fossettes émergeant d'une opulente fourrure. Elle a trente et un ans et six ans de succès. Son courrier lui arrive par sacs, mille lettres chaque semaine. « Les enfants me racontent leur vie. Je suis aussi la petite fille de plein de grand-mères », dit-elle. Et les parents ne se plaignent pas. « Elle ne bêtifie pas, elle ne fait pas le trottoir mais du culturel sans en avoir l'air », déclare un père de famille.
La voix un peu éraillée, attachante, elle retrace - vite le chemin qui mène des années sages à Bourg-la-Reine, où elle s'appelle encore Frédérique Hoschèdé, au panthéon rose et bleu des enfants. Un concours de théâtre à Versailles quand elle est en terminale. Jacqueline Joubert, ancienne speakerine, fait partie du jury. C'est elle, «ma deuxième maman », qui l'engage à la télé. Dorothée méandre à T.F. 1. Dehors en 1976 chômage. Dedans en 1977: sur A2 cette fois comme speakerine. Enfin, été 1978, champagne! Antenne 2 lance « Récré A. 2 » avec Dorothée. Clic! Une aisance enjouée devant la caméra. Clac! Le contact inné avec les gosses. « Non, je n'en ai pas. Mais je les connais. Je ne triche pas avec eux. Quand quelque chose m'amuse, je le leur dis. »


UNE AFFAIRE QUI ROULE


« Récré A. 2 » est un cocktail de dessins animés, chansons et jeux entrelardés de sketches en direct. « Je préfère le direct. On est responsable de ce qui se passe. Mais il faut savoir enchaîner quand il y a des bavures. » Elle sait. Chaque mercredi, l'émission a un thème. Une fois l'Amérique latine, tout en clichés: moustaches, tenues militaires et fazendas; une autre fois le Far West ranch, pistolet et chercheurs d'or; Londres la semaine dernière, où, devant la cabine téléphonique rouge, croisent l'Anglais en melon, le policeman en casque et le punk à crête multicolore. Cabu, Willy, le responsable de l'émission, Jacky, l'animateur de « Platine 45 » (« Il est bête, celui-là », dit Thomas), toute l'équipe de «< Récré A. 2» prend un plaisir évident à se déguiser. Surtout Dorothée. « Je passe dans tous les costumes. J'ai bien dû faire tous les rayons de tous les étages de la S.F.P. !» On se joue la comédie: des gags tarte à la crème comme au meilleur temps du muet. Du burlesque. Dorothée n'est jamais prise au sérieux : Cabu la caricature à tout va. Elle fait office de super-jeune fille au pair, de grande sœur jamais là pour interdire. Et ça fonctionne !
Elle gamine, elle cause et elle chante. Dans « Récré A. 2 », bien sûr, des airs piochés dans le répertoire traditionnel. Parents, gare à la nostalgie! « Ma petite est comme l'eau », « A la volette », « Meunier, tu dors », « A la claire fontaine », autant de chansons dont on avait perdu les couplets. Elle chante aussi les textes de J.-F. Porry, mis en musique par Gérard Salesses. Un peu gnangnan, un peu simplets mais pas complètement déconnectés. Dorothée est une affaire qui roule : A.B. Productions, sa maison de disques, tient un bon produit. Elle a vendu plus de huit millions de disques. L'idée de l'associer à des dessins animés célébrissimes – « Rox et Rouky », des Productions Walt Disney, «les Schtroumpfs» (prononcez « Smurfs » en anglais), de Peyo - lui vaut deux disques de platine. Dorothée est la Blanche-Neige des Schtroumpfs.
La Piaf des enfants. Inlassable. Qui dit chansons dit comédies musicales. De la concurrence à Chantal Goya? « Il y a de la place pour tout le monde », rétorque-t-elle. A l'Olympia, en 1981, les mômes en délire ont cassé cinquante-huit fauteuils pour « Dorothée au pays des chansons ». Re-Olympia l'année suivante. Et, pendant l'été 1983, Dorothée tourne en France sur le Grand Podium de Monte-Carlo. Elle se défonce, l'air de rien. « Je vis sur les nerfs, dit-elle. Mon rêve, quand je rentre chez moi, est de m'écrouler devant la télé avec du saucisson et du thé. Je travaille beaucoup, au feeling, en chat écorché. » C'est vrai qu'elle n'est pas grosse dans son manteau somptueux. Rien d'une vamp. « C'est dur, la télé: il faut que je me lave les cheveux tous les deux jours. » Le succès lui a changé la vie? Non. Sauf au restaurant: maintenant on me trouve toujours une table libre. Et dans la rue, je ne suis jamais tranquille. » Elle voudrait changer de rôle ? « Non, j'aime mon public. »
Mais elle a cherché ailleurs. En 1978, elle tourne avec Truffaut « l'Amour en fuite », passé aux oubliettes. En 1980, « Pile ou face », de Robert Enrico, n'a pas non plus marqué les mémoires. Deux allers simples au cinéma, sans rappels. Son public la tient. Pour les cinq à dix ans, Dorothée est aussi présente que la maîtresse. Mais au-delà, l'intimité avec les enfants se fissure. « Je ne regarde plus Dorothée, c'est pour les bébés. Quand elle fait le clown, elle a vraiment l'air débile », dit Catherine (douze ans et demi). Dédain de Moumoune (onze ans): « J'aime pas Dorothée, c'est une espèce de grande petite fille. » A cet âge pas trop tendre, on bascule dans le rock et les variétés étrangères, aspiré par le monde des grands. Dorothée vit ailleurs, dans notre enfance.


CAROLINE BRIZARD

Echos/Télé – Sondage

Télé Guide – 4 décembre 1984

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Malgré toute l’énergie dépensée par Chantal Goya, Dorothée reste la préférée de nos chers bambins. C’est un avantage pour A2 à la veille des fêtes de Noël et encourageant pour Dorothée, vedette des nouveaux vidéo-clips de Robert réa. « Le bon dieu » et « Qu’il est bête », tourné avec son partenaire Jacky sur un fond d’ice-creams, de limousines américaines et de rock and roll.

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