La machine Dorothée
Le Monde – 12 décembre 1988
Avec un public qui va des enfants de vingt mois aux grands-parents, Dorothée est le seul personnage du petit écran à remplir tous les soirs une salle de spectacle.
A la fin des années 70, une ancienne chanteuse yé-yé » (Chantal Goya) trouvait, grâce à une émission de télévision (Numéro un des Carpentier, en forme de conte de fées) un créneau à exploiter : la chanson pour enfants, et se constituait avec l'aide de son époux, Jean-Jacques Debout, un répertoire sans risque basé sur les mythes traditionnels de l'enfance (Guignol, Bécassine, Tintin, le Chat botté, Pierrot et Colombine). Curieux retour des choses : c'est une participation maladroite à une autre émission de télévision (« Le jeu de la vérité ») qui tua son crédit auprès des familles, il y a deux ans. Depuis, le créneau est occupé par Dorothée, qui ne craint pas a priori d'essuyer la même mésaventure que Chantal Goya puisque la chanteuse ici se double d'une animatrice de télévision.
Dorothée a fait ses débuts sur le petit écran en 1973, juste avant l'éclatement de l'ORTF. Elle avait alors un visage tout rond et continuait encore à tout hasard des études en vue d'obtenir une licence d'anglais. Dorothée a participé aux premiers après-midis de la jeunesse les mercredis, à un jeu d'Henri Kubnick (Réponse à tout) avant d'être speakerine pendant un an et d'animer Récré A2 à partir de 1978.
Chantal Goya, c'était la grande sœur, tout en sourires, qui évoluait dans un univers de carton-pâte. Toutes les trois minutes, le mot merveilleux était prononcé. Les chansons, mimées, étaient diffusées par une bande (musique et voix) en play-back. Dorothée n'est ni la grande sœur, ni la maman, ni la maîtresse d'école. Elle joue, dit-elle, « le rôle d'une amie, quelqu'un d'actuel qui a un foutu caractère et parle normalement aux enfants ».
Un climat de « boom » permanent
A la télévision, Dorothée présente chaque semaine vingt-deux heures de programmes répartis entre le matin et l'après-midi et où les sketches, les gags en forme de flashes se glissent entre les dessins animés, Tarzan et les séries japonaises. Sur scène, sans ses équipiers du petit écran, Dorothée se produit avec un orchestre de dix musiciens, deux choristes et huit danseurs. D'un côté, elle offre un climat de boom permanent, de l'autre un concert avec participation active du public. Entretenue par ses producteurs, Claude Berda et Jean-Luc Azoulay, la machine Dorothée tourne à plein régime. En temps ordinaire, les lundi, mardi et mercredi matin, la chanteuse enregistre les émissions ; le reste de la semaine, elle tourne dans les régions. Plus d'une dizaine de millions d'albums ont été vendus à ce jour. Cinq mille lettres adressées à l'animatrice arrivent chaque jour à Paris. « C'est dangereux de s'arrêter quand ça marche, dit simplement Dorothée, prête à occuper le créneau jusqu'à la fin des temps.
C. F.