La grande prêtresse du petit monde
Sud-Ouest – 12 février 1989

Dorothée s'installe chez nous douze heures par semaine. Mais elle descend aussi du petit écran pour faire des tournées.
Dorothée passe à la télé tous les jours de la semaine, même le dimanche, matin et après-midi. Le mercredi, elle vient avec un panier garni, sage précaution car, du matin 8 h 55 au soir 17 h 50, c'est presque le téléthon ! Bref, elle s'installe chez nous environ douze heures par semaine. Comment la manquer ? D'autant qu'ils en raffolent de mademoiselle et de ses amis. Dorothée est donc in-con-tour-nable. Nommée conseillère et responsable des programmes de la jeunesse sur TF1 en septembre 1987, elle a parfaitement organisé sa propre mise en scène. Du beau travail qui ne fait pas mentir le proverbe « Charité bien ordonnée... ». En fait, depuis que la Goya, s'étant sabordée chez Sabatier, a laissé le champ libre. Dorothée joue en solo. Pour autant, son succès ne semble pas lié à la défaillance de la concurrence ! Sous des airs vulnérables, féminismes et même juvéniles se cache une maîtresse-femme à la tête bien faite : une case pour le bac philo, une autre pour la fac d'anglais, une troisième pour l'art-théâtre et piano - et deux superbes bosses, communication et commerce. En harmonie parfaite avec son chef de chantier. Dorothée s'épanouit sur la Une et défonce l'audimat. Sans rechigner à la tâche.
Au travail
Tout commence en 1973 lorsque Jacqueline Joubert l'engage pour animer les Mercredis de la jeunesse. Quatre heures hebdomadaires, un emploi du temps très raisonnable pour l'étudiante qu'elle est encore. A 20 ans et pleine d'ardeur, elle renonce à la perspective d'une carrière exaltante de professeur pour se consacrer aux « Visiteurs du mercredi ». Très certainement troublée par l'éclatement de l'ORTF, TF1 la remercie en fin de saison, au motif qu'elle n'est vraiment pas faite pour animer des émissions pour enfants. Cette perspicacité du directeur de l'époque la conduit à exercer toutes sortes de petits boulots ; avec dix ans d'avance sur la mode épatante lancée par un ministre du travail ingénieux. On est en 1976 et Dorothée s'exerce alors dans la doublure écran, l'animation de supermarché, le secrétariat... Jusqu'au jour où elle apprend qu'Antenne 2 recrute des speakerines. La bonne élève de l'école Notre-Dame passe les tests, est reçue et renoue avec les émissions pour enfants. C'est « Dorothée et ses amis ». Très vite, elle devient l'animatrice préférée des générations montantes. C'est à cette époque que François Truffaut, garçon sensible et très certainement spectateur fidèle de Récré A 2, lui propose de faire du cinéma. Elle tourne « l'Amour en fuite », puis enchaine avec « Pile ou Face », sous la direction de Robert Enrico. Ses partenaires s'appellent Philippe Noiret et Michel Serrault. Le public apprécie. Dorothée aussi. Elle peut croire au cinéma. Mais entre ces deux films, elle a enregistré son premier disque (« Dorothée au pays des chansons ») et contracté le virus de la comédie musicale : « Dorothée tambour battant », « Dorothée au royaume de Diguedondaine », « Pour faire une chanson », « On va taire du cinéma ».
A raison d'un spectacle par an, elle collectionne les succès. Les disques suivent et il n'est pas un entant qui ne fredonne sur la banquette arrière ou sur les bancs de l'école « Rox et Rouky », « les Schtroumpfs », « les Petits Ewoks », « Allo, monsieur l’ordinateur » ... Tous ces refrains sont certifiés platine ou or. En 1987, elle franchit le cap des dix millions de disques vendus et les spectateurs se pressent par centaines de milliers à ses galas. Artiste gloutonne et scrupuleuse, elle négocierait actuellement l'élaboration du catalogue disques enfants ouvert par la multinationale Polygram ; en parallèle à sa tournée qui remplit les salles. Personne ne résiste à sa frimousse rieuse, à son sourire malicieux, à sa complicité millimétrée avec Jacky. Ce jeune homme, après avoir rodé son numéro de clown aux côtés d'un Antoine de Caunes rock et débutant, semble avoir trouvé son juste rôle : candide. Le couple s'accorde à merveille dans des pitreries toujours renouvelées, même au milieu des autres complices dont le speakerin (voie royale ?) Simpson Jones.
N°1 au Top
En une grosse décennie, sa montée en puissance fut régulière. Mais c'est son transfert bruyant sur TF 1 qui va la porter au top de la popularité auprès des enfants. Lorsqu'elle quitte la chaine publique. Dorothée sait tout de l'animation en télévision. TF 1 va lui donner les moyens d'aller au-delà. Avec le Club Dorothée, elle occupe l'antenne en développant son projet triangulaire : la lucarne pour servir le disque avant de monter sur les planches. Elle devient aussi l'héroïne de « Giraya », feuilleton japonais que l'on nous promet pour bientôt. On la sait diaboliquement habile et efficace : saura-t-elle donner un intérêt aux nipponeries ?
Pascal Rigeade.