L’affaire Dorothée
France-Soir – 3 juin 1987
"Elle était trop gourmande", dit-on à A 2, où elle est déjà remplacée
"Je vais enfin être responsable de mes émissions", répond l'animatrice
LA révélation, dans « France-Soir » d'hier, du renvoi brutal de Dorothée, chassée d'Antenne 2, quelques jours après avoir signé pour la saison prochaine un contrat avec TF1, a provoqué un coup de grisou dans la galerie télévisuelle. Certains s'insurgent devant une mesure radicale, jugée scandaleuse et fleurant la basse vengeance. D'autres hochent la tête, laissant entendre que tout n'est pas clair dans cette histoire. Bref, il y a une affaire Dorothée. Ce petit bout de femme au nez impertinemment en trompette remue plus de monde qu'il pouvait paraître.
A Antenne 2, on ne semble pas trop vouloir s'expliquer. Jacqueline Joubert, responsable des émissions jeunesse est absente de Paris. Aucun autre directeur ne veut répondre. Il faut les confidences d'un proche du président Contamine pour savoir qu'on ne l'a pas retenue parce qu'on l'a trouvée un peu trop gourmande. Sa maison de disques, nous dit-on, voulait avoir la maîtrise de ses émissions. Inconcevable dans le service public.
Son renvoi immédiat ? Jacqueline Joubert a voulu l'écarter vite pour tester immédiatement celle qui sera sa remplaçante. Marie, qui jouait le rôle de seconde dans Récré A2.
Explication équivoque...
Dorothée pas exigeante se défend d'avoir manifesté des exigences exorbitantes. Le contrat qu'elle a signé avec TF1 lui assure un cachet de 40.000 francs par mois, ce qui représente une belle augmentation par rapport à ce qu'elle touchait à Antenne 2, mais n'a rien à voir avec les sommes mirobolantes que touchent maintenant certaines stars.
La maîtrise de ses émissions ? Il est vrai qu'arrivée à ce stade de sa carrière, elle ne
veut plus être seulement une poupée qui s'agite devant une caméra pour amuser les gosses. Elle veut participer à la conception de ses shows. Elle sait qui est sa « clientèle » : les cinq à dix ans, et tient à apporter, ce qui semble légitime, exactement ce qu'attendent les jeunes de cet âge.
C'est ce que lui offre TF1 : Dorothée sera conseillère auprès de la direction pour tout ce qui concerne les programmes pour la jeunesse. Par ailleurs, la chaîne achètera clés en main 600 heures de programmes à une société créée dans ce dessein : AB Productions. Et, ce qui n'est pas le moins important, pour un budget global de même montant que celui que la chaîne consacrait jusqu'alors au même type d'émissions.
Ce qui veut dire que Dorothée et ses producteurs seront responsables artistiquement, mais aussi financièrement, des programmes jeunesse. S'ils ne sont pas assez adroits pour les gérer, le dépassement sera pour leur bourse... Ce qui n'est pas joué d'avance, disent les associés de la jeune femme. C'est nous qui payons de nos deniers les séquences de dessins animés. Or, il y a une fabuleuse inflation sur la minute d'animation, dont le prix a triplé ou quadruplé sur le marché mondial.
Responsables
Par ailleurs, le contrat avec TF1 (qui n'est pas différent de celui que la « 2 » a signé avec Michel Drucker...) a pour Dorothée d'autres vertus. Elle s'est lancée par deux fois, et avec assez de bonheur, dans le cinéma. Elle veut récidiver. La chaîne, si l'opportunité se révèle favorable, coproduira un ou plusieurs films dont elle sera l'interprète. Et Dorothée chante. Ses disques se vendent bien auprès de la clientèle familiale qui est la sienne. Récemment, elle a rempli le Zénith pendant vingt jours. La semaine dernière encore, six mille fans l’applaudissaient à Genève. TF1 donnera des coups de pouce, notamment en promotion, pour que sa carrière prenne une nouvelle dimension. C'est l'intérêt de la chaîne, de l'artiste et... de ses producteurs.
On comprend maintenant pourquoi Dorothée a préféré tenter l'aventure de TF1 plutôt que de continuer à être considérée à Antenne 2 comme l'éternelle petite fille qui divertit les gamins l'après-midi parce qu'elle a un joli sourire et qu'ils la considèrent comme une grande sœur.
Elle fait ce métier depuis treize ans. Elle a envie de jouer à l'adulte. Normal, non ?