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Ils ont dit non au star-system

Dorothée : "je me suis toujours dit qu'un jour ça s'arrêterait"
Gala - Juillet 2015​

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Du jour au lendemain, elle ne s'est plus exprimée, plus montrée. A 61 ans, celle qui régna pendant vingt ans sur la jeunesse livre sa vérité. Décryptage.


« Dès que quelque chose m'embête un petit peu, j'ai la faculté d'occulter. » A l'autre bout du téléphone, la voix est incroyablement familière, entre la grande sœur et l'amie d'enfance, voire la « nounou », comme la qualifient encore beaucoup de trentenaires. Quand on demande à Dorothée de raconter cette dernière journée, celle du « Club Dorothée », sur TF1, elle reste factuelle. A l'époque déjà, elle avait su serrer les dents pour retenir ses larmes. Alors, vingt ans après...
Nous sommes le 26 août 1997, les vacances touchent à leur fin. Paris reprend doucement de couleurs de rentrée. Rue de la Montjoie - qui ce jour-là porte assez mal son nom -, à La Plaine Saint-Denis, où se situent les studios de AB Productions, tout le monde est là. Notamment Jacky, le complice doux-dingue, Corbier, le chansonnier lunaire, le flegmatique Patrick Simpson-Jones, la brune Ariane et elle, bien sûr, Dorothée. Petit pull à col roulé blanc, veste bleu électrique, elle chante : « Et même à l'autre bout du monde, quel que soit l'endroit où l'on soit, aussi vrai que la terre est ronde, un jour on se retrouvera... » « Do » souffle les bougies des dix ans de son émission. Il y a du bon petit soldat en elle. Quelque chose de volontaire. « Je n'aime pas perdre le contrôle, me laisser aller, commente-t-elle aujourd'hui. J'ai peut-être peur de trop montrer mes sentiments. Pourquoi ? Allez savoir... Et puis, c'était déjà assez triste comme ça de partir, on n'allait pas en rajouter ! Quand j'ai commencé ce métier, vous savez, je me suis toujours dit qu'un jour ça s'arrêterait, c'était clair dans ma tête. Mais j'aurais préféré choisir la date moi-même. » TF1 ne lui en n'a pas laissé le loisir. « C'est tombé comme un couperet, un coup de massue. On ne me l'a pas annoncé officiellement, j'ai appris les choses par les bruits de couloir, les "On a lu que...", "On a entendu que..." » Cette dernière, Dorothée aurait aimé la faire en direct, comme les autres. Mais la chaîne en a décidé autrement. « Ils ont dû penser que j'allais régler mes comptes, ce qui n'est pas du tout mon style, je n'aurais rien fait de spécial. Ils ont voulu sécuriser. Ce n'est pas grave. » Si d'autres ont gardé de la rancœur, elle non. Ce mot, comme « regrets » ou «remords » d'ailleurs, elle l'a rayé de son vocabulaire. Question de survie ? « Question d'éducation », réplique-t-elle. Le vendredi 29 août, quand l'émission est enfin diffusée et que ses cinq à six millions de petits fans apprennent du coup la triste nouvelle, Dorothée, elle, est déjà ailleurs. Dans un chagrin plus privé dont elle nous demande de ne pas trop parler («S'il vous plaît, c'est mon point faible. »). Juste dire alors que le soir même de l'enregistrement de cette dernière, lors d'un dîner organisé par toute l'équipe, son téléphone a sonné. Elle a répondu. Puis disparu. Sa maman, qui était malade, venait de mourir.
Au moment où une page professionnelle se refermait, la sphère familiale se rappelait à elle douloureusement, certes, mais intensément. Cette partie de sa vie qu'elle avait mise en sourdine pendant près de vingt ans la convoquait. Frédérique Hoschedé, de son vrai nom, avait tout un tas de choses à faire, à découvrir, à rattraper même. Et en premier lieu : « Un peu de vacances ne m'a pas fait de mal ! », sourit-elle. « Cela n'a pas été si difficile que ça en fait d'arrêter, avoue-t-elle. Il y a eu un petit silence, c'est vrai, j'avais besoin de digérer tout ça, je n'avais pas envie de me répandre, mais ce n'est pas dans mon tempérament de ruminer ou de regretter. » O.K., mais divertir la jeunesse de vingt à quarante heures en direct par semaine, détenir le record de spectacles avec quelque cinquante-neuf Bercy à guichets fermés, avoir enregistré une vingtaine d'albums (trente millions de disques vendus)... Le simple fait d'énumérer tout cela donne le tournis. « Je comprends, s'amuse-t-elle, moi-même, je suis épuisée rien qu'à regarder des documentaires qui me sont consacrés ! » Dorothée assure pourtant que tout cela n'était ni une corvée ni un sacerdoce, mais juste sa vie. Qu'avoir été privée des siens, privée d'enfants aussi, était un choix délibéré.
« C'était la carrière ou la vie de famille. J'ai privilégié la première. Je ne pouvais pas avoir les deux. Et ce qui ne s'est pas fait, ne s'est pas fait, je l'accepte. Je ne garde en mémoire que les bons moments, j'essaie au maximum en tout cas. Politique de l'autruche, me direz-vous ? Et pourquoi pas... » Derrière l'apparence fluette, on sent une énergie de bulldozer, une force puisée dans des racines solides. Bretonne de cœur et d'origine, il y a quelque chose de minéral et de clair en elle. Chez les Hoschedé, on a dû beaucoup s'aimer et se le dire. Elle confirme. « J'ai été bien protégée, bien dirigée. Maman était très carrée, stricte quand il le fallait, mais hyper drôle aussi. Quand j'ai commencé ce métier, elle était toujours derrière à me dire « Attention ! » Et ça, c'était bien. Papa, je l'ai perdu très tôt. Il chantait magnifiquement bien, il aurait adoré participer à des spectacles, des albums, je suis sûre qu'on aurait fait des duos d'enfer ! Il est parti avant. Je commençais comme speakerine quand il est décédé. En faisant ce métier, quelque part, j'ai réalisé son rêve. » Elle se souvient qu'en 1973, lorsque Jacqueline Joubert, alors directrice de l'unité jeunesse de l'ORTF, lui a proposé de faire de la télévision, il lui a dit : « Si tu aimes, vas-y ! » « C'est génial de la part d'un papa je trouve ! Maman était plus réticente, car plus protectrice, mais elle ne m'a jamais empêchée non plus. » Véritable garçon manqué, plus portée sur les jeux de cow-boys et d'Indiens que sur les poupées (« au grand désespoir de maman », précise-t-elle), Frédérique vouait un véritable culte à son frère Jean-François, son aîné de sept ans. « Gamine, j'étais un boulet pour lui, mais vers l'âge de vingt ans, nous sommes devenus soudés comme les doigts d'une main. » En 2010, Jean-François est décédé des suites d'une maladie. « Je suis toujours la sœur, je suis toujours leur fille. Je pense à eux tout le temps ! Non-stop ! Je me dis : "Ah, s'ils étaient là !", "Ah, s'ils voyaient ça !" Je vis toujours avec eux en fait. Je n'ai pas coupé le cordon. » « Faute de famille, l'homme, dans l'immense univers, tremble de froid », écrivait André Maurois. S'il n'y a pas chez Dorothée ce besoin vital de lumière qui fait que d'aucuns s'y brûlent, c'est sans doute là qu'il faut en trouver l'explication. Dans cette famille soudée, unie, perçue comme un nid protecteur. Voilà encore comment expliquer qu'une décision imposée par autrui devint, dans les mois, les années qui suivirent, un choix personnel. « C'est vrai ! Je n'avais pas envie de parler pour ne rien dire, ni de faire n'importe quoi pour le plaisir de faire... » Et aller frapper aux portes avec des projets sous le bras ? Se battre ? Empruntant aux enfants l'une de leurs expressions, elle nous répond : « N'avais pas envie ! » En 2004, elle a pourtant failli reprendre le rôle de Gérard Klein dans «la série L'Instit. Quatre ans plus tard, entourée des anciens du « Club Dorothée », elle a contribué au lancement de IDF1, chaîne locale d'Ile-de-France, propriété de son ancien producteur, Jean-Luc Azoulay. En 2011, sur RTL9, chaîne du groupe AB, elle a animé quelques émissions sur la magie avec l'illusionniste Laurent Beretta. Des apparitions toujours furtives. « Je n'ai pas baissé les bras, mais j'avançais au coup de cœur, confie Dorothée. Quitte à faire quelque chose, j'aurais aimé que ce soit différent. » Comme le cinéma par exemple. Après avoir tourné L'amour en fuite (1979), avec François Truffaut, et Pile ou face (1980), entre Michel Serrault et Philippe Noiret, sous la direction de Robert Enrico, elle aurait pu y prétendre en effet... « On ne m'a rien proposé. L'étiquette était là, c'était impossible. » Labellisée télé, jeunesse, TF1, on lui a fait d'une certaine façon payer son succès, son omniprésence, voire omnipotence. « Quand elle était à Antenne 2, les critiques la portaient aux nues, dès qu'elle est passée à TF1, qui venait d'être privatisée, elles l'ont clouée au pilori », raconte un de ses proches. Télérama osa même alors un « Faut-il brûler Dorothée ? » en pleine une. « Les critiques étaient assez insupportables, se souvient-elle. J'essayais de ne pas les lire, de ne pas les entendre, mais ce n'était pas toujours possible et certaines faisaient parfois très, très mal. Cependant, je n'ai jamais eu envie de réagir. Si cela s'était déroulé à l'époque de Twitter et des autres réseaux sociaux, je n'aurais pas répondu non plus. Cela ne sert à rien d'envenimer les choses. »  Quand la lumière s'est éteinte, Dorothée ne s'est pas perdue. Pas trouvée non plus. Elle a juste continué. Elle continue.
De sa vie privée, elle dit toujours « Tout va très bien, merci ! », pour couper court aux questions. Début 2010, Thierry Demaizière, journaliste de l'émission « Sept à huit », tenta de la faire réagir à la rumeur d'un cancer surmonté. On murmure qu'elle vit avec un compagnon depuis plusieurs années. Ses proches la protègent. Dorothée, elle-même, n'entrouvre aucune porte. « Mon intimité, c'est comme ma maison. Peu de gens ont les clés. » Entre son appartement parisien et sa propriété de Normandie, la télévision reste une vieille copine qu'elle fréquente dès le matin (les chaînes info), puis au hasard des programmes. Evidemment, on ne peut s'empêcher de lui demander si une émission lui donnerait envie... Petit raclement de gorge : « Est- ce que je suis obligée de répondre ? » Selon Boris Cyrulnik, psychiatre et psychanalyste français : « L'évolution ne connaît pas la marche arrière. » Dorothée non plus.


JEANNE BORDES


Comment cette petite Bretonne d'origine, qui se dit flemmarde et rêveuse (« en bon Cancer »), a-t-elle pu devenir une telle work-addict? « C'était un engrenage, on ne pouvait pas dire : "Non, aujourd'hui je n'y vais pas", donc on y allait ! Et puis, j'avais une super équipe. Sans elle, je n'existais pas.


La fille de Maurice et Jacqueline Hoschedé est une fillette, puis une ado extrêmement timide.
C'est Jacqueline Joubert qui l'engage, en septembre 1973, pour présenter « Les mercredis de la jeunesse », sur l'ORTF.

Dans sa maison de Normandie.

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