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Dorothée : "En France, le succès est mal vu!"

Ciné Télé Revue - 15 septembre1988

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Voici un peu plus de dix ans, elle débutait à peine dans le métier de speakerine. Aujourd'hui, elle est l'animatrice préférée des enfants. Une fée dont la baguette magique apporte les meilleurs dessins animés et les plus sages divertissements. Sa réussite est exceptionnelle sur TF1, ses émissions quotidiennes battent tous les records, elle vend plus d'un million de disques par an, ses comédies musicales sont réclamées dans le monde entier (elle montera sur la scène du Zénith à partir du 26 novembre et sera à Bruxelles au début janvier), sans parler des livres qui portent son effigie et que l'on s'arrache. Mieux qu'un succès, un plébiscite! Pourtant, Dorothée est le point de mire de nombreuses critiques qui dénoncent son succès. Comme si elle le volait à quelqu'un! On lui construit actuellement un studio géant et certains voient dans cette réussite un danger supplémentaire, comme si elle dictait ses lois dans le domaine des émissions enfantines. Qui veut brûler Dorothée? Cheville ouvrière d'une entreprise de trois cents personnes, dont le chiffre d'affaires dépasse les 250 millions de francs (nouveaux) par an, l'animatrice n'apporte pas seulement du bonheur aux enfants. Elle fait également travailler et tourner l'industrie. Tout en refusant d'être une star. Il ne suffit pas de le dire: discrète, adorable, toujours disponible, Dorothée le montre. Dans sa vie de femme avant tout.


Dorothée revient du Japon où elle a tourné en guest-star» (la vedette invitée d'une série) plusieurs productions locales destinées aux jeunes. Une nouvelle expérience très enrichissante pour elle qui a toujours soif d'apprendre : « Leur méthode de travail est assez rigoureuse », dit-elle. « Quand ils disent : « Prêt à tourner à une heure », ce n'est pas une heure moins une ou une heure deux. Tout est réglé, très rapide, très professionnel, mais l'ambiance est absolument extraordinaire. J'aime beaucoup ce mélange de tradition et de vie moderne qui existe chez eux. C'est un monde tout à fait à part. C'est drôle, je pensais que les Japonais étaient des gens tout à fait différents de nous. En fait, nous sommes très proches! »
La « fée des enfants »> n'a plus qu'une envie : retourner au Japon. Pour visiter cette fois... Mais, en attendant, c'est en France qu'elle va devoir travailler.. Et dur on lui construit actuellement, à son usage exclusif, un nouveau studio, porte de la Chapelle à Paris. Six mille mètres carrés dotés de l'équipement le plus perfectionné! « Ce sera superbe », s'exclame-t-elle. « On va disposer de la dernière technologie. Mais on ne va pas travailler plus pour autant. Je ne pense pas qu'on puisse travailler plus! »


Les quatre vérités
Elle ne se prend vraiment pas au sérieux. Pourtant, dans la vie, de Dorothée, tout le monde n'est pas beau, tout le monde n'est pas gentil. En Amérique, le privilège de se voir construire des studios n'appartient qu'aux grands, comme l'animateur Johnny Carson par exemple. On le vénère comme un Dieu, parce que son triomphe n'a pas d'égal. Il « fait » de l'argent comme on dit. Le succès de Dorothée, en France, est aussi puissant dans son genre. Toutes les émissions qu'on a mises en face d'elle, dans l'espoir de venir troubler sa supériorité, n'ont pu tenir la distance. Idem pour les vedettes qu'on essaie de lui opposer. Chantal Goya est l'une des dernières à s'être cassé les dents sur sa suprématie. Et pourtant, Dorothée n'échappe pas aux critiques: on lui reproche de monopoliser le créneau réservé aux enfants à la télévision, et la C.N.C.L. (la Commission Nationale de la Communication et des Libertés) s'émeut qu'on lui construise ce grand plateau de télévision... C'est oublier un peu vite le plaisir qu'elle apporte aux enfants! Alors, pourquoi tout ça?
« En France, le succès est très mal reçu », explique Dorothée. « Partout dans le monde, quand vous avez une émission ou un film qui marche, quand vous avez un certain succès, les gens vous respectent. En France, on fait systématiquement le contraire! Ce n'est pas grave. L'important, c'est que le public soit heureux. C'est tout de même à lui qu'on s'adresse. Si les enfants en ont assez et trouvent que c'est trop, ils nous le diront certainement. Si nous construisons un studio plus grand et plus moderne, c'est évidemment pour faire du meilleur travail. Le public ne s'en plaint pas. D'autre part, il n'y a pas de monopole du tout. Je suis TF1. Je commande des émissions à la société AB Production à laquelle j'appartiens et cette société les fabrique. Tout ce qui est artistique, tout ce qui concerne le choix des dessins animés et autres, c'est nous. AB Production s'occupe des locaux et de la technique. »


Un enfant à elle
La fée se double d'une femme d'affaires avisée, qui ne laisse rien au hasard pour le bonheur de son public. Mais Dorothée, la femme, qui est-elle ? En dehors de son travail, peu de gens la connaissent et on ne la voit quasi jamais au bras d'un chevalier servant. « Je suis la plus paresseuse des paresseuses », avoue-t-elle. « Je déteste travailler. Je ne suis pas du tout maso! On s'amuse, on fait des gags, on aime ce qu'on fait. Il n’y a que le matin où le réveil est un peu difficile. Cet emploi du temps surchargé ne me laisse pas le temps d'avoir une vie privée mais cela, on le verra plus tard. J'ai la meilleure part des choses j'ai les enfants pour rigoler. Bien sûr qu'avoir un enfant à moi me tente, mais j'ai encore le temps. »
La télévision est tout son univers. Quand elle rentre chez elle, tard le soir, Dorothée la regarde encore. Elle, quand elle se lève, elle est déjà devant son petit écran. C'est une dévoreuse, une incroyable « boulimique » de télé ! Elle regarde tout à l'exception des émissions politiques, tout simplement parce que ça l'ennuie mortellement. Elle ne les supporte pas... En dehors de cela, elle aime la lecture; la bande dessinée bien sûr! Son succès ne lui monte pas à la tête.
« C'est vrai que je gagne de l'argent », dit-elle, « mais je vis tranquillement. J'ai une toute petite voiture, c'est tout ce que j'ai à moi d'ailleurs! J'achète des vêtements idiots, des bijoux simples mais drôles. Je n'aime pas vraiment le luxe. On va souvent au restaurant, on fait la fête en famille. Je vis dans un tout petit appartement de deux pièces. Je ne possède rien du tout de somptueux, cela ne m'amuserait pas. »


Les petits ont confiance
Dans deux mois, Dorothée franchira une nouvelle étape dans sa carrière: elle se produira en rockeuse au Zénith. Un spectacle pour enfants, mais ceux-ci auront le droit d'emmener leurs parents. Il y aura du rock, des chansons drôles, des ballets, un orchestre. « Hyper fatigant mais génial », dit-elle. « Rien que d'y penser, j'en ai déjà la chair de poule! »
Dorothée réagit toujours de la même façon à son succès grandissant avec simplicité. Et en sachant ce qu'elle fait. On aura beau l'attaquer, personne ne la touchera parce qu'elle a ce détachement indispensable vis-à-vis du métier. Voilà son secret. « Je sais très bien que tout peut tomber du jour au lendemain », explique-t-elle. « Je vis au jour le jour. Il faut bien se dire que ce métier, c'est du vent! On n'a rien de très sérieux ni de très solide. D'accord, le temps d'une chanson, d'une émission ou d'un spectacle, on aide les gens à passer un bon moment. Et c'est important. Mais ce n'est pas comme un médecin qui soigne et sauve la vie des gens. Il ne faut pas se prendre la tête en se disant : « Ça y est, je suis arrivée au zénith! » (C’est le cas de le dire!). Nous sommes des êtres humains comme tout le monde. Je suis contente que ça marche, c'est évident. C'est notre récompense. Je suis très consciente du fait que les enfants ont confiance en nous. Il ne faut donc pas les décevoir. A mes yeux, c'est là le plus important : sincérité et respect du public, quel qu'il soit, enfants, parents, grands-parents, adolescents. C'est notre ligne de conduite. »


Mieux élevés que les adultes
Sa réussite, Dorothée la dédie aux enfants. Ce sont eux qui ont fait ce qu'elle est devenue, qui ont transformé la timide Frédérique Hoschedé (son vrai nom) en une fée magique. Elle ne les a jamais trahis. Et ce n'est pas demain que cela va changer: les enfants, c'est son baromètre de bonne humeur...
« J'écoute attentivement l'avis de ceux qui sont déjà en âge de s'expliquer », dit-elle. « Toutes les émissions sont faites en fonction de leurs goûts. Quand une série ou un dessin animé ne leur plaît pas, ils le disent par le Minitel, ils l'écrivent, et aussitôt on change. On joue beaucoup avec leurs idées. C'est normal puisque nous avons la chance d'avoir une communication avec le public. Les enfants sont d'ailleurs souvent mieux élevés que les plus grands. Ils sont très gentils. Si je suis à table au restaurant avec mes parents ou des amis, ils viennent, on discute et si le plat arrive, je leur dis : « Excusez-moi, mais le plat est là. On se revoit tout à l'heure. » Ils m'écoutent. Les adultes, non. Ils restent. Ils s'incrustent et mon plat est froid... (rires) »


Bernard ALES

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Dorothée dans le futur studio d’où elle présentera ses émissions : aux Etats Unis, une réussite comme la sienne serait respectée En France, on la critique…

Entourée par ses complices Jacky et Patrick Simpson-Jones, Dorothée coule des heures heureuses en préparant ses émissions : « L’important, c’est que les enfants soient heureux ! »

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