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Dorothée-bises – L’humeur de Pierre Combescot

Le quotidien de Paris – Avril 1984

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Je ne sais pas si vous avez remarqué mais le mercredi, je suis toujours aligné. C'est ric-rac, y'a rien à faire. Evidemment, vous me direz, c'est le jour des petits, mais ce n’est quand même pas une raison pour que chaque semaine, je me retape Récré A 2, Zébulon, Papivole, sans oublier Dorothée, qui, cotillons simples et souliers plats, est en passe de devenir la Marlène Dietrich des âges tendres. Le vert paradis des amours enfantines, je t’en ficherais. Naturellement, le mercredi, il y a aussi cet ange de la pop music, qu'est Jacky à Platine 45. Grâce au ciel, en fin d'après-midi, ça commence un peu à chauffer. Surtout, lorsque, comme l'autre jour, on se trouve nez à nez avec Chagrin d'Amour. Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais de Chagrin d'Amour, je suis maboul. D'ailleurs, pour moi, c'est l'évidence, c'est eux Chagrin d'Amour, qu'il faudrait mettre à Récré A 2, à la place de Dorothée et de ses chansons marmelade. Alors, là, je vous jure, il y aurait du tonus dans le pruneau. D'autant que la zozotte du groupe, c'est p'têt pas la Marlène des deux à trois, mais croyez-moi, c'est une fichue baby-doll. Comprenez-moi, ce n’est pas que je sois un pervers, mais je suis 100% pour la libération sexuelle des classes enfantines. On recule toujours, on recule toujours. On croit naturellement que c'est pour mieux sauter, et badaboum, c'est la cata ! Vous voyez bien où je veux en venir, c'est pas la peine de faire un dessin, c'est quand même simple : la France des petits, de nos petits, de nos chères têtes blondes, est, chaque mercredi, sournoisement érotisée, complexée par la présence affolante et maternelle de Dorothée chérie. Et ça, si vous voulez m'en croire, c'est dans un proche avenir le trauma assuré d'une génération. Ceci, voyez-vous, je l'ai compris ce même soir (comme le hasard fait bien les choses) en écoutant Psy Show, cette émission où l'on dit tout, où l'on a même vu de fiers étalons confesser que ça n'avait pas été toujours aussi brillant et que même quelquefois, on avait été un peu « flanelle ».
En écoutant donc Moni Elkhaïm, grande prêtresse des thérapies de groupe, essayer de faire comprendre à un fiston face à sa maman, que leurs relations d'amour et de violence n'existaient que parce qu'un certain M. Edipe, pour avoir joué au jeu des chiffres et des lettres avec le Sphinx avait fini, (le compte est bon !), par épouser sa maman, je compris moi-même que si on laissait la ravageuse Dorothée à Récré A 2, dans 20 ans, dans 30 ans peut-être, ce ne serait plus un Jean-Christophe et une maman Samantha que l'on aurait à Psy Show, mais des millions de petits machos mal dans leur peau, face à une vieille dame qui continuerait à leur dire : « latulu et Lireli, bonjour les petits ! » Nous, dans notre jeunesse, quand on n'avait pas la télé, on allait au Ranelagh, et là, on mettait sournoisement un pétard entre les fesses du vieil
âne, ce qui le transformait aussitôt en crack de steeple-chase. Que voulez-vous, la jeunesse alors avait l'esprit pionnier.
P. C.

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