Dis quand reviendras-tu ?
2007
Toute une génération – celle qui roule à Vélib' et mange du taboulé bio - va enfin retrouver sa baby-sitter du mercredi après-midi. Youp!! Dorothée, animatrice rendue célèbre par ses shows télé et ses tubes improbables (Allo, allo, monsieur l'ordinateur), devrait faire sort retour en
novembre sur IDF1, une chaine locale de la TNT destinée aux Franciliens L'apparition aura-t-elle lieu? Certains en doutent. Depuis l'arrêt définitif du Club Dorothée en 1997, l'icône des enfants est devenue une star insaisissable. Refusant les interviews, distillant ses apparitions au compte-gouttes (elle sera néanmoins l'invitée de Michel Drucker dans Vivement dimanche le 4 novembre), Dorothée préfère tourner en rond sur l'atoll de ses souvenirs. Pour comprendre comment cette fille espiègle en est arrivée là, il faut activer la machine à remonter le temps...
Découverte par Jacqueline Joubert au début des années 70, Dorothée anime les Visiteurs du mercredi puis Récré A2, menant en parallèle une carrière d'actrice (elle tournera avec François Truffaut et Robert Enrico). Lorsque démarre la décennie suivante, la blonde à queue de cheval est repérée par celui qui deviendra son mentor: le producteur Jean-Luc Azoulay. «C'est en essayant de digérer une pizza aux moules pas fraiches que je suis tombé sur elle à la télé. Je l'ai trouvée formidable!, se souvient le boss d'AB Productions. En 1987, après lui avoir écrit quelques tubes, Azoulay lui propose de rejoindre TFI fraîchement privatisée. Entourée par un chansonnier anarchiste (Corbier), un gentleman aux oreilles décollées (Patrick Simpson- Jones), une comédienne qui veut sauver les enfants en détresse (Ariane) et un rocker å frisettes (Jacky), l'animatrice est catapultée à la tête d'un show pour enfants qui va connaitre un incroyable succès d'audience. Le Club Dorothée diffuse une absurdité décalée aux accents de Jonesco sous acide (Pas de pitié pour les croissants). Certains jours, la réalité vient ajouter un supplément d'âme à ce délire généralisé, comme lors de ce direct où un testicule apparaît malencontreusement à l'écran. Ariane se souvient: Dorothée me donnait des coups de coude en me disant entre les dents: "Ya la couille gauche de Jacky qui dépasse de son short!" Conquis par cette ambiance punk, les enfants sont plus de 700000 à adhérer au Club, parmi lesquels Jamel Debbouze ou encore Juliette Arnaud.
S'il flatte l'ego de l'animatrice à long nez, le succès a également une dimension cannibale. Happée par cet engrenage qui exige de tourner plus de 1000 heures de programmes par an, la jeune femme qui rêvait de devenir égyptologue momifie sa vie privée. Lorsqu'elle ne boucle pas un tour du monde en deux semaines pour le Club Dorothée vacances, c'est auprès de son yorkshire, Roxan, qu'elle se retrouve, seule. « Dorothée, c'est une fleur qui s'ouvrait quand les caméras s'allumaient, explique Patrick Simpson- Jones. Ça me faisait d'ailleurs un peu peur, parce que j'avais le sentiment qu'il n'y avait que ça qui comptait dans sa vie. » Notre droguée de boulot supporte mal les critiques. Télérama, Ségolène Royal et Antoine de Caunes tirent à l'arme lourde sur celle qu'ils accusent d'abêtir la jeunesse à coups de mangas ultra violents, sans comprendre qu'elle se situe aux avant-postes de la mondialisation culturelle à venir. « A la fin, je n'avais plus vraiment le feu sacré», confiait-elle récemment dans une interview à Technikart. C'est donc une femme profondément blessée qui quitte le devant de la scène en 1997, lorsque TF1 supprime l'émission. En un clin d'œil, l'univers factice dans lequel elle évoluait s'effondre. Et sa vie avec. «C'est vrai que quand ça s'est arrêté, ça m'a fait de la peine», reconnaît Dorothée, soudain redevenue Frédérique Hoschedé. S'ouvre alors une longue période d'angoisse. Pour vérifier qu'elle n'a pas commis des dégâts irréparables en leur inoculant de fortes doses de Dragon Ball Z, Dorothée suit l'évolution de ses fans. Régulièrement, entre un projet de chaîne jeunesse avortée (Do TV) et le visionnage d'un épisode de New York District (son péché mignon), elle continue à déjeuner avec des adhérents du Club. « L'important, c'est de voir que cette génération qui nous regardait n'a pas été traumatisée», dit-elle avec tendresse. Au bout de quelques années, le poids de la culpabilité s'allège enfin. Les nombreux sites Intemet qui fleurissent à sa gloire, les témoignages d'affection de Chantal Goya et le soutien de ses ex-compagnons. cathodiques finissent de la convaincre qu'elle n'est pas ce monstre vénal qu'on a stigmatisé. A 54 ans, Dorothée peut enfin envisager un possible retour, en s'appuyant sur le poids de l'expérience: Je n'ai jamais triché. Moi, je suis restée la même. « J'ai toujours 4 ans. Ah non, plutôt 5, j'ai grandi.»
Nicolas Santolarla