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Coquins de sponsors !

L’évènement du jeudi – 28 décembre 1989

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A l'automne 1987, les concepteurs de la maison Roux-Séguéla, chargés par Matignon de la campagne pour le « oui au référendum sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, furent un jour visités par le génie du marketing politique : « Les règlements en cours, observèrent-ils, interdisent toute diffusion de spots politiques le vendredi qui précède le vote. En revanche, ils n'interdisent pas de se montrer rusé. Pourquoi ne pas imaginer la séquence que nous financerons, discrètement, avec le budget de la campagne ? Dans son émission de TF1, Sabatier fait un direct avec Nouméa. On y voit des chanteurs locaux, Canaques et caldoches mélangés, qu'on interviewe ensuite et qui, sans jamais prononcer le mot de "référendum", sans rien proférer de politique, se répandent sur la douceur de vivre aujourd'hui dans l'archipel. Ce projet n'eut qu'une longévité réduite. Sitôt informé, Matignon y mit le holà. De surcroît, le sponsoring, pardon, le parrainage politique d'émissions est totalement prohibé. N'empêche ! L'anecdote est éclairante en ce qu'elle dévoile des capacités d'astuce des publicitaires sur le sujet. En ce qu'elle révèle aussi des désirs qui pourraient s'éveiller chez des « parrains » (1) bien conseillés, de plus en plus nombreux au reste à exercer leur loi et leur pouvoir sur le petit écran.
Légalisé par un texte de décembre 1987, le sponsoring - souvent, selon de doctes études, plus efficace, voire meilleur marché que la pub traditionnelle - a aujourd'hui droit de cité plein et entier à la télévision française. Moins sur les chaînes publiques où il demeure soumis à une réglementation tatillonne que sur les commerciales où il peut s'ébattre beaucoup plus librement. Sur la Une (seules les speakerines et les journaux et magazines de la rédaction y sont réglementairement insponsorisables), le produit du parrainage représente à lui tout seul le montant des bénéfices de l'entreprise : 350 millions de francs environ. Autant dire que, dans l'esprit de l'équipe Bouygues, il est assez peu question de restreindre cette pratique. A cet égard, on tient du côté des publicitaires le décomplexant discours que voici : « La légalisation du parrainage d'émissions a moralisé ce marché. Avant du temps de la clandestinité ou de la semi-tolérance, c'était le règne, pas totalement révolu d'ailleurs, de la combine la plus minable: l'animateur d'un jeu citant à la sauvette le nom d'une compagnie d'aviation, histoire de récolter quelques billets pour ses neveux et nièces, le présentateur d'une émission de variétés contraint d'inviter le président d'une chambre patronale qui a refilé une enveloppe en douce pour l'émission mais qui se révèle infichu d'aligner trois phrases audibles, etc. Désormais, toute contribution d'un annonceur industriel ou commercial au financement d'une émission fait l'objet d'un contrat particulièrement détaillé et minutieux. Rien n'est laissé au hasard. D'ailleurs, dans la pratique, si vous saviez le temps passé à trouver la phrase ou le slogan le plus juste et que le présentateur devra glisser au moment le plus opportun ! »
Premier chantre de ce discours, Jean-Marc Frantz, patron de Communication et Programme, une filiale de Roux-Séguéla, « leader », comme on dit, dans son secteur de « partenariat d'émissions de télé », ajoute : « Il faut abandonner les idées simplistes. Ce n'est pas parce qu'un annonceur met beaucoup d'argent sur la table qu'il va parrainer une émission. Ce n'est pas non plus parce qu'il met beaucoup d'argent sur la table qu'il va la parrainer comme il l'entend. Nous collaborons avec pour définir la forme de sponsoring plus efficace et surtout qui "colle" mieux avec l'image de l'émission, sans lui nuire, sans la déformer, sans obliger ses auteurs à des contorsions et sans qu'il entre non plus des enchères entre les sponsors. Faire sponsoriser "Thalassa" par un conserveur de thon ? Bonjour les arêtes ! » Exemples types, en revanche, de parrainages estimés réussis dans la profession : Dunlopillo pour « Super sexy », ou les fromages Kiri chez Dorothée.
« Rien ne se fait sans l'accord du producteur et de l'animateur, renchérit Arielle Renouf, de TF1 Publicité. On croit parfois dans la presse ou dans l'opinion que les émissions se font parce qu'elles ont trouvé un parrain. C'est faux. On remplirait la tour Montparnasse rien qu'avec des projets d'émissions déposés par les sponsors et qui ne se sont pas faits : ils étaient irréalisables. Les chaînes lancent les émissions qu'elles ont envie de lancer. Les sponsors suivent. En revanche, il peut arriver qu'une émission à faible audience, pas très bien fichue, soit condamnée si, en outre, elle n'a pas déniché de parrain. »
Indolore, le sponsoring ? Créatif même, jure Jean-Marc Frantz, pas peu fier d'avoir fait parrainer par sa société, Communication et Programme donc, « Les nuls » sur Canal Plus, ainsi que l'an dernier, mais sur TF1, la série d'interviews de Marguerite Duras. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes sponsorisables si, de temps à autre pourtant, ne se produisait ici et là une bavure.
Ce fut le cas fin juin sur TF1 lors d'une grande émission à prétention écologiste (« La Terre perd la boule ») financée pour 1,5 million de francs par Rhône-Poulenc dont les dirigeants, au montage, obtinrent la suppression de quelques remarques fielleuses à leur encontre proférées par des invités au débat final. Là se situe le nerf de l'histoire. « On a tort de trop insister sur ces bavures qui restent rares et très limitées, estime un autre spécialiste du sponsoring. Ces petits écarts ne sont rien en regard d'autres manquements, beaucoup plus sérieux, eux. Tout le monde sait bien qu'il y a dans chaque chaîne de télévision des journalistes qui se font balader à longueur de temps et aux quatre coins de la planète par de grosses firmes, à charge tacite pour eux d'en rajouter sur les mérites de ces entreprises à l'antenne, et de ne pas trop s'appesantir sur les conflits qui pourraient y survenir. »
Certes, mais excuse-t-on le délit par le crime ?
Difficile en tout cas d'estimer qu'un constructeur automobile consente à investir plusieurs centaines de millions de centimes ans une émission qui pourrait lui causer du tracas... Les chaînes n'entendent pas laisser ces griefs sans réponse. Elles produisent des tonnes d'études qui vous démontrent par A plus B que les téléspectateurs, eux, ne voient aucun inconvénient à ces pratiques. Surtout, elles font valoir que le sponsoring constitue un apport quasiment culturel. Prenons le cas du nouveau magazine scientifique des frères Bogdanov, « Futur's » (sur TF1), financé pour plus de 60% de son gros budget par quelques robustes sponsors (CGE, Alcatel, Aérospatiale, etc.), lesquels, d'autre part, alimentent aussi l'émission en documents filmés.
Plaidoyer de la régie de pub de la Une : « A la vérité, c'est plus de la coproduction que du parrainage. Mais quoi, avec de tels partenaires, "Futur's" est totalement au cœur de son sujet et de ses ambitions. » Et ses parrains donc !
A ce régime, l'ambiguïté est reine. Co- marraine des émissions de Sabatier, la maison de disques Carrère ne s'éloigne pas non plus beaucoup de ses objectifs commerciaux lorsque défilent sur le plateau du charmant Patrick les chanteurs de son écurie. Précision utile : sur les chaînes commerciales, la réglementation n'impose pas la mention du nom des sponsors au générique. Il y a plus. On l'a vu, à la télé, le parrainage n'est plus affaire de dilettante ou de magouilleur au petit pied. Professionnels en diable, des publicitaires s'y sont fait les dents et n'entendent pas s'en tenir là. Simples conseillers initialement, ils accèdent peu à peu au statut de concepteurs d'émission qu'ils pourraient même désormais proposer directement aux
annonceurs avant de se retourner vers les chaînes. On aboutirait, en ce cas, à une situation inversée, la télévision s'adaptant aux parrains, et non plus l'inverse. Déjà, Jean-Marc Frantz assure avoir fait réaliser des séries de fiction totalement sponsorisées, sans toutefois préciser lesquelles. Et de plaider : « Qu'y a-t-il de grave à cela ? Après tout, les Chevaliers du ciel étaient parrainés par l'armée de l'air. Tout est affaire de travail bien fait. Qu'y a-t-il de condamnable à dire que le héros de telle série est ingénieur dans telle boîte d'informatique, ou médecin dans telle entreprise ? Un héros de série a nécessairement un métier. »
Détail piquant : TF1 tient en ses murs le contre-exemple parfait de ses rassurantes théories. Producteurs de l'estimable « Club de l'enjeu »>, François de Closets, Emmanuel de La Taille et Alain Weiller ont toujours refusé que cette émission soit sponsorisée. Preuve sans doute que d'aussi éminents connaisseurs des arcanes du business savent aussi quels appétits y rôdent...
 

Patrice LESTROHAN
(1) Préconisé par la CNCL, le terme de « parraineur » n'a pas survécu à ses inventeurs.

 

Légende : Les fromages Kiri ont choisi le Club Dorothée, un exemple de sponsoring que l’ensemble de la profession publicitaire s’accorde à trouver adéquat et réussi. Preuve que le parrainage est une bon fromage !

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