Ces speakerines qui rêvent de jouer un autre rôle
Dernière heure de Bruxelles – 7 novembre 1989

On dit que le métier de journaliste mène à tout, à condition d'en sortir. En va-t-il de mème pour la profession de speakerine ? On pourrait le croire à en juger par les tentatives des unes et des autres de s'orienter vers d'autres disciplines. Mais en fait ce n'est pas aussi simple que ça " C'est une erreur de croire qu'être présentatrice puisse servir de tremplin à une carrière artistique, déclare Denise Fabre. Tout ce que l'on peut espérer, c'est d'évoluer à l'intérieur de la télévision. Rien de plus."
L'avis est péremptoire, mais Denise Fabre sait de quoi elle parle. Au début des années septante, elle s'était laissé tenter par la comédie en interprétant une série : Allo taxi ! Cette démarche accomplie à l'intérieur du monde audiovisuel n'a débouché sur rien et Denise Fabre est retournée à sa fonction initiale. Sans s'en formaliser apparemment : "C'est la puissance de la télévision qui fait de nous ce que nous sommes, note-t-elle. Hors de l'univers du petit écran, nous ne représentons rien."
Certaines chaines, en outre n'encouragent pas les speakerines à sortir de leur rôle. C'est surtout le cas de TF 1 dont la direction envisage même d'interdire à ses présentatrices d'animer d'autres émissions, comme le font actuellement Evelyne Leclerc et Fabienne Egal avec Tournez manège.
Ce qui arrange d'autant moins certaines speakerines que leur existence serait, dit-on, menacée. TF 1 utilise, en effet, de plus en plus les bandes-annonces, jugées plus percutantes, plus accrocheuses que les speakerines, que d'aucuns trouvent un brin démodées.
En attendant des jours meilleurs
Par ailleurs, plusieurs speakerines sont venues au métier par hasard et souvent en attendant des jours meilleurs. C'est notamment le cas de Carole Serrat. "Mon apparition sur le petit écran s'est décidée tout à fait fortuitement, indique-t-elle. Je m'étais présentée à TF 1 pour interpréter un téléfilm. Je n'ai pas été retenue, mais on m'a dit que je conviendrais sans doute comme speakerine. J'ai accepté " Ce qui n'empêche pas Carole Serrat de se considérer toujours comme une comédienne en puissance. Elle a, du reste, tourné dans un film d'Arrabal. Le cimetière des voitures, et espère bien ne pas en rester là. Par ailleurs, passionnée de musique, elle prépare également un album, avec la complicité de son mari.
Même aventure pour Nadia Samir, comédienne depuis l'âge de dix-sept ans et qui a fait plusieurs apparitions au cinéma dans de petits rôles : "En attendant que la chance survienne, dit-elle, mon agent m'a conseillé de postuler une place comme speakerine. Je l'ai écouté et voilà."
Pour ces comédiennes de vocation, le métier de présentatrice est donc surtout une façon de prendre patience. D'autant plus que devenir une star en présentant les programmes est aujourd'hui exclu. C'était possible aux origines de la télévision, lorsque les Catherine Langeais, Jacqueline Caurat, Anne-Marie Peysson et autres Jacqueline Caurat n'avaient qu'à paraître pour faire la une des magazines et recevoir chaque mois des milliers de lettres. Aujourd'hui, le téléspectateur a d'autres idoles : les animateurs et les journalistes en particulier.
De toute façon, même pour une Jacqueline Huet, pourtant très populaire dans les années soixante, le destin fut cruel. Jacqueline Huet venait du cinéma. Elle était persuadée que son rôle de speakerine lui vaudrait un jour de devenir une vedette du grand écran. Jamais elle ne parvint à réaliser son rêve. On connaît la suite en octobre 1986, éloignée à la fois du cinéma et de la télévision, Jacqueline Huet fit un ultime arrêt sur image en se suicidant dans sa baignoire. Difficile, donc, pour les speakerines de quitter la télévision, même s'il s'ouvre chaque soir sur un vaste public. Pari délicat, pour toutes ces belles, de se frayer un chemin personnel dans un autre domaine de l'audiovisuel. Même si quelques exemples prouvent que ce n'est pas tout à fait impossible. Danielle Askain, Catherine Ceylac et lacqueline Alexandre sont devenues journalistes, respectivement sur Canal Plus, Antenne 2 et FR 3. Même chose pour Frédérique Ries sur RTL et pour notre Françoise Van de Moortel nationale.
Le plus bel exemple de réussite d'une ex-speakerine, cela dit, est évidemment fourni par Dorothée. Un beau jour, après onze années de collaboration, Dorothée claqua la porte d'Antenne 2. Elle tourna deux films : L'amour en fuite, de François Truffaut, et Pile ou face, de Robert Enrico. Sa carrière au grand écran s'arrêta là. Mais la petite Dorothée avait d'autres cordes à son arc. Lors du grand chambardement de l'audiovisuel, elle choisit de tout prendre en main et devint la dépositaire d'une nouvelle marque d'images. Les sceptiques en furent pour leurs frais. Car Dorothée, aujourd'hui, pèse lourd. Devenue la reine des émissions enfantines, la jeune femme possède ses propres studios à la Plaine Saint-Denis deux plateaux, des loges, des bureaux, une cantine y accueillent les nonante personnes employées full time par la société A.B. que dirige l'animatrice préférée des bambins. On s'y occupe évidemment de la promotion des disques de Dorothée, devenue au passage spécialiste du tube avec dix millions d'albums vendus, mais aussi et surtout - des vingt heures d'émissions mensuelles cédées à TF 1 au prix de 120.000 francs français les soixante minutes.
La speakerine que l'on jugeait nunuche s'est transformée en une redoutable femme d'affaires. Belle revanche pour celle à qui un responsable d'Antenne 2 avait déclaré un jour : "Mademoiselle, ne sortez pas de votre rôle de speakerine, vous n'êtes pas faite pour animer des émissions pour enfants".
Tout de même, on a l'impression que Dorothée est un peu l'arbre qui cache la forêt. Car plus nombreuses sont les speakerines qui ont eu leur émission avant de la perdre et de rentrer dans l’ombre : Evelyne Dhéliat, Martine Chardon, Carole Varenne, Claire Avril et. bien sûr, Anouchka Comme quoi, il y a là une image assez difficile à gérer.
Bernard C. Tallier